Voici un carnet bleu, tout bleu, bleu et griffonné. Voici un carnet de gribouillis, tout plein de ratures, toujours bleues. Voici un carnet à dessins brouillonné à dessein pour nous offrir un album superbe. Un album bleu, entièrement dessiné au stylo-bille. Et là on repense au travail du Flamand Jan Fabre et ses subjuguantes toiles dessinées au stylo Bic. Voici­ une maison d’édition qui s’attache aux couleurs, aux qualités d’impression, au geste artistique qui consiste à éditer un dessinateur. Voici un artiste qui s’amuse avec son éditeur et compose des planches sans mots, des pages gigantesques de 30 × 30 cm. Un artiste auteur illustrateur qui dit préférer être édité chez elle plutôt que chez Casterman où il ne serait qu’une « petite goutte dans leur catalogue ». Voici un collectif de dessinateurs devenu éditeur à force d’exigence cruelle sur un marché du livre cruellement peu exigeant de ce qu’il publie, vend, avale, et recrache au pilon. Leur nom c’est Frémok, tiré de l’union des labels bruxellois et parisiens Fréon et Amok. Et voici un père qui dit à son fils : « Tu sais que tu es le fils du roi » pour une histoire qui déroule, à partir de là, les méandres bleus d’une narration graphique où chacun plongera en toute liberté. Eric Lambé est né en Afrique, en ce Congo à l’histoire belge peu glorieuse mais inscrite dans la terre, pour une jeunesse voyageuse entre Kinshasa et la Belgique. Issu de l’Atelier R de Saint-Luc à Bruxelles, école de bande dessinée fondée par Claude Renard et François Schuiten­, il annonce avoir été profondément influencé par le groupe Bazooka, graphistes et dessinateurs français de la fin des années 70. Les diverses influences ont dû infuser, elles ont donné une façon toute particulière de tracer et raconter une histoire. L’album offre ainsi des images fortes. De grosses têtes, des bouts d’enfance, de fines lumières, des tunnels, des visages aux yeux vides, à remplir de quelque chose qui pourrait être une part de rêve en commun.