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Une fable comptable pour « justifier » 62 millions d’économies

Décortiquer les comptes de Tamedia demande un certain art, tant l’entreprise sait y faire pour raconter des histoires. La fable est annoncée dans le titre de son communiqué : « La forte croissance des activités numériques compense le recul de la publicité dans le secteur Print. » La morale : les rationalisations – 62 millions d’économies sont annoncées discrètement – compenseront cette baisse du chiffre d’affaires du média papier. L’histoire officielle repose bien sur un certain nombre de faits, mais d’autres sont tus ou juste mentionnés en passant.

Provision de 6,2 millions pour

des licenciements à venir…

A force d’achats de sites internet – 234 millions d’acquisitions en 2012 et 2013 grâce aux centaines de millions de réserves accumulées depuis dix ans à coup de restructurations –, Tamedia voit enfin ses activités numériques dégager du profit depuis l’an passé. Mais cela est surtout rendu possible grâce au matraquage gratuit pour ces sites dans les journaux. La hausse du chiffre d’affaires est due en partie à un effet comptable : les résultats de plusieurs sites internet importants sont pris en compte pour la première fois.

Les recettes publicitaires des médias imprimés sont certes en recul depuis 2012 et « pèsent sur le chiffre d’affaires » et celles du Digital sont en hausse, même si des sites comme search.ch et newsnet demeurent déficitaires. Mais Tamedia ne donne que les chiffres de l’ensemble des médias suisses et pas ceux de son groupe. « Les mesures de rationalisation ne sont pas parvenues à compenser entièrement le recul d’origine structurelle », nous dit Tamedia, qui en profite pour annoncer que « des réserves s’élevant à un total de 6,2 millions ont été constituées [en 2013] dans les deux activités Print. » En clair : Pour financer les plans sociaux !

Des imprimés toujours très rentables

On pourrait croire la situation catastrophique. Pourtant les segments Print régional et national du groupe dégagent respectivement une marge Ebitda (avant amortissements) de 15,5 % et 15,8 %. Même les imprimeries cartonnent avec une hausse de leur chiffre d’affaires de 15 %, dépassant « nettement » les objectifs fixés. Le Print assure ainsi toujours plus de 70 % du bénéfice brut du groupe et près de 80 % du chiffre d’affaires ! L’acti­vi­té est donc hyper rentable et n’a pas besoin d’être sauvée par le Digital ! Les restructurations ne se justifient pas. Par ailleurs, la chute des rentrées publicitaires n’est pas seule en cause. Pour expliquer la baisse du bénéfice avant amortissement du Print national, Tamedia reconnaît que cela est aussi dû à « des investissements réalisés sur les marchés de journaux du dimanche et au Danemark ».

Des millions soustraits des bénéfices annoncés

De bonnes nouvelles parsèment le rapport. Au détour d’une phrase, on apprend que pour Tamedia, en 2013, « le taux d’impôt­ effectif a baissé de 22,3 % à 12,2 % ». De plus, le groupe a réussi à se désendetter de près de 100 millions et à augmenter ses capitaux propres de plus de 200 millions. D’autres emplettes devraient suivre grâce à un taux d’autofinancement passant de 58,1 à 64,5 %.

Jamais satisfaits, les actionnaires en veulent toujours plus. L’objectif insensé d’une marge opérationnelle Ebit de 15 % est manqué cette année avec « seulement » 11,9 %. Cette « chute » de l’Ebit et du bénéfice net s’expliquent aussi en grande partie par les investissements. En 2013, les acquisitions sont « notamment à l’origine d’une chute de 8,1 % du bénéfice opérationnel avant intérêts et impôt (Ebit). » (24 Heures, 14.3). L’Ebit et le bénéfice net sont également en baisse à cause d’une hausse de 34 % (soit 10 millions) des amortissements sur immobilisations immatérielles.

62 millions à économiser sur le dos de qui ?

S’il ne figure pas dans le communiqué de presse, l’existence d’un nouveau plan de rationalisation de 62 millions sur trois ans – dont 40 millions en 2014 – est suggérée dans les documents donnés à la conférence de presse. Une baisse estimée par Tamedia de la publicité print de 7 % en 2014 le justifierait. Un nouveau coup de massue pour les salarié∙e∙s après l’annonce en 2013 du plan d’économie de 34 millions. Les plans s’additionnent-ils ou se recoupent-ils ? Mystère.

Des investissements dans le Digital plombent la marge Ebit, justifient des économies au nom d’un Print prétendument malade que le Digital est censé sauver. La fable s’auto-alimente. Et les salariés en paient le prix.

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