Réduire – encore – les services postaux ?
Dans son analyse publiée le 28 juillet, « La Poste : la pertinence plutôt que la nostalgie », le laboratoire d’idées libérales Avenir suisse plaide pour une réduction radicale du service universel assuré par La Poste. Sa proposition : ouvrir le marché postal, c’est-à-dire transférer les services rentables et en croissance vers la concurrence libre, ce qui péjorera le service public.
Ouvrir le marché – encore plus – aux entreprises privées signifie concrètement, par exemple, la fin de la livraison quotidienne du courrier et des mesures de réduction du service public : moins d’emplois, conditions de travail dégradées et diminution des services dans les régions périphériques, peu rentables pour les entreprises privées.
Qu’en pense Matteo Antonin, président de syndicom ?
Selon Avenir Suisse, La Poste ne devrait plus distribuer les lettres que deux fois par semaine. Est-ce vraiment une solution à envisager ?
Matteo Antonini : Cette proposition n’est pas nouvelle. Elle va par contre cette fois-ci plus loin que la proposition mise en consultation par le département du ministre Albert Rösti ainsi que le rapport de la commission d’experts du Service universel postal qui avait rendu son rapport en 2022.
En Suisse, on distribue les lettres avec les colis et ça serait impensable que les facteur-trices n’amènent pas ces produits en même temps et au même destinataire. C’est véritablement un non-sens logistique et économique. Ne livrer que deux jours par semaine allongerait également les tournées des facteurs et des factrices et compresserait toute la chaîne logistique.

Les chiffres parlent, les lettres sont en déclin. Est-ce qu’il n’est pas logique de s’adapter aux nouvelles habitudes des citoyen-nes ?
La lettre qui arrive le lendemain est le produit le plus aimé des Suisses par rapport aux envois. Il y a encore 1 milliard d’envois hors colis chaque année en Suisse. C’est vrai qu’il y a un changement de mode de consommation, mais ce que propose Avenir Suisse, c’est de libéraliser là où il y a un marché en croissance, chez les colis, et de baisser les prestations dans un marché qui est en difficulté (lettres et journaux). Nous proposons de garder les deux, ensemble, pour profiter des forces de l’un et des faiblesses de l’autre. C’est-à-dire de continuer une distribution quotidienne des colis, des lettres et des journaux.
En Norvège, la poste ne passe plus qu’une fois par semaine, au Danemark, le courrier ne sera plus distribué dès la fin de cette année. Tout est envoyé par voie électronique, sauf les colis, qui seront livrés par des privés. Des décisions qui font réfléchir, non ?
La géographie, la démographie et l’économie scandinave ne sont pas les nôtres. L’économie suisse est en croissance, avec toujours plus de population, la situation n’est pas la même dans ces pays scandinaves. Et nous ne sommes pas aussi loin par rapport à la digitalisation. On a d’autres modes de consommation, d’autres habitudes, et ce qu’on essaie de changer, c’est le fait que le réseau postal, actuellement en difficulté, remplisse des services de qualité ajoutée, ce qui était un modèle prévu par la stratégie de La Poste, qui est malheureusement remis en question.
De quels services s’agit-il ?
Des services numériques qui sont nécessaires pour la population, comme le e-voting, le e-ID ou le dossier personnel électronique des patients. Je ne vois pas d’acteurs privés offrir ces services. La population s’est exprimée contre la privatisation de ces services et La Poste a un potentiel d’évolution dans ce marché, qui doit rester en main publique.
Le service public doit-il nécessairement passer par La Poste ? Ne serait-il pas intéressant de passer par des privés auxquels des conditions-cadres seraient fixées ?
Le seul monopole qui existe en Suisse dans ce marché, c’est la lettre à 50 grammes. Tout le reste peut être fait par des privés. Mais je me questionne par rapport à la livraison. Qui a envie d’aller chercher des cartons de vin, des couches-culottes dans un automate ou un point de collecte loin de la maison ? Les citoyen-nes veulent être livré-es à la maison. Ce que propose Avenir Suisse, c’est simplement supprimer l’acheminement de colis, y compris les plus lourds, pour presque 60 000 ménages. Imaginez-vous les agricultueur-trices, les personnes en télétravail, ou qui rentrent tard du travail, qui doivent se déplacer vers un « My Post24 » pour retirer leurs colis. C’est vraiment un non-sens.
Informations complémentaires :
Nos revendications
Une réduction du service universel assuré par La Poste mettrait directement en danger des milliers d’emplois dans la distribution du courrier et des colis – des personnes qui s’engagent depuis des années pour le service public dans toute la Suisse.
Des plans antérieurs du Conseil fédéral, comme la suppression du courrier A, ont déjà suscité une large opposition. Les revendications d’Avenir Suisse vont encore plus loin et risqueraient de démanteler La Poste en tant que prestataire fiable sur l’ensemble du territoire.
Il ne resterait à La Poste que les secteurs non rentables, selon la logique « le privé s’enrichit, l’État assume les pertes ».
syndicom exige donc :
- Un engagement clair des autorités en faveur d’un service universel couvrant tout le territoire
- Des investissements dans une Poste publique tournée vers l’avenir
- Plus aucune libéralisation au détriment des salarié-es et de la population