« Les femmes doivent savoir qu’elles ne sont pas coupables des lacunes dans leur prévoyance ! »
Le 25 septembre dernier, sept collègues ont pris part à un atelier animé par Danielle Axelroud, experte fiscale, pour aborder les conséquences de l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. Entretien.
Entretien : Muriel Raemy
Vous êtes experte fiscale retraitée, faites partie d’économieféministe.ch et êtes dans le groupe de travail lié aux retraites dans la grève féministe vaudoise. Un engagement sans bornes envers les finances des femmes : pourquoi ?
Je déplore un discours qui culpabilise les femmes, qui leur fait croire que, en gros, si leurs rentes sont si basses, c’est qu’elles ne s’y intéressent pas assez. La différence de rentes reflète les inégalités de salaires de toute une vie ! Il est essentiel pour moi que les femmes comprennent que cette injustice est construite, qu’elle est issue d’un système patricarcal qui a fait son temps. Elles n’y sont pour rien et je leur démontre pourquoi.

Que leur montrez-vous exactement ?
Que c’est dans la LPP, le 2eme pilier, que se situe le problème. Encore aujourd’hui, environ 1/4 des femmes n’y sont pas affiliées. Ce 2eme pilier a été pensé et calculé pour un homme qui travaille à 100 %, sans interruption, pendant environ 40 ans. En fait, selon le droit actuel, pour que les femmes perçoivent des prestations de vieillesse comparables à celles des hommes, il faudrait tout simplement qu’elles exercent, elles aussi, une activité lucrative à temps plein, et sans interruption de carrière.
Ce qui bien sûr n’est pas possible…
En effet, les femmes consacrent 2/3 de leur temps à des activités non rémunérées, pour l’essentiel, les tâches domestiques, familiales et de soin. On y ajoute les différences de salaires entre hommes et femmes, les différences de revenus dès le plus jeune âge, qui augmentent drastiquement dès l’arrivée des enfants, puisqu’elles vont travailler à temps partiel. Comme la prévoyance professionnelle est exclusivement basée sur l’activité lucrative, on ne s’étonne plus, dès lors, que les rentes qu’elle verse aux femmes soient si maigres. L’OFS a calculé, en 2023, que les rentes annuelles des femmes sont inférieures de 16 380 francs par an par rapport à celles des hommes. Soit 31 % en moins ! Ce sont plus de 100 milliards de francs qui manquent chaque année dans le portemonnaie des femmes et le montant des rentes que la prévoyance professionnelle verse aux femmes ne fait que refléter cette lacune de revenu.
Et l’âge auquel elles ont droit à leur retraite a été augmenté !
Oui, la réforme AVS 21 prévoit un supplément de rente attribué uniquement aux femmes nées entre 1961 et 1969, lorsque leurs revenus sont modestes et lorsqu’elles prennent leur retraite à l’âge de référence. C’est une mesurette qui vise à faire passer la pilule : la génération transitoire (voir schéma) reçoit en effet un supplément qui s’échelonne entre 12,50 francs et 160 francs par mois.

Qu’est-ce que le fait de savoir tout ça change concrètement pour les femmes, puisque le problème est systémique ?
Nous avons regardé les outils à disposition pour calculer leur retraite, comment demander un extrait du compte individuel, si une retraite anticipée est envisageable ou non, et surtout, oser demander les prestations complémentaires.
Les femmes présentes, la plupart factrices, ont exprimé à quel point leur travail est dur, que la cadence qui leur est demandée est difficile à tenir avec l’âge, que certaines vivent des situations de maltraitance au travail. Échanger, demander de l’aide, sentir le soutien des collègues syndicalistes pour effectuer certaines démarches administratives, tout ça donne de la force. La solidarité était très grande ce soir-là.
Renforcer l’AVS
Le système de l’AVS, le 1er pilier, compense les différences de revenus entre les conjoints, et il prend en compte le travail éducatif et de soin assumé dans la sphère non rémunérée. Les cotisations et les prestations sont les mêmes pour tout le monde. C’est un système simple, efficace et économique, qui s’en tire avec des frais d’administration et de gestion de l’ordre de 25 francs par personne assurée. Pour Danielle Axelroud, il n’y a pas besoin de chercher plus loin :
« Il suffirait d’oublier la prévoyance professionnelle obligatoire (une prévoyance professionnelle privée et volontaire pourrait subsister) et de doubler les prestations de l’AVS. Les rentes moyennes de l’AVS représenteraient presque 4 000 francs par mois, ce qui permettrait de vivre, modestement, mais dignement. Le budget des prestations complémentaires en serait soulagé, ainsi que les finances cantonales et communales, qui vont devoir faire face à des dépenses accrues dans le domaine de la santé et du soin aux personnes âgées. »