En visite chez les capitalistes
Mon épouse a hérité de quelques actions Nestlé. Je suis allé la représenter à l’assemblée générale « ordinaire » qui s’est tenue à Lausanne, ville romande (!) au SwissTech Convention Center EPFL Ecublens. Rien « d’ordinaire » pour moi. Une organisation remarquable, exemplaire. Un personnel nombreux et très attentionné pour vous indiquer, le vestiaire, le contrôle de sécurité, le meilleur accès à la salle des « délibérations ». Sont mis à disposition des écouteurs pour les traductions de l’anglais, de l’allemand et du français ainsi qu’un petit appareil qui permet de voter depuis leur place aux 4000 (?) personnes qui se sont déplacées depuis très loin pour cette « grand-messe ». Les membres du Conseil d’administration sont 14. Ils ont été élus en une vingtaine de minutes, les uns après les autres. Une performance. Un modèle de démocratie. Chaque décision est projetée sur un immense écran. On sait exactement ce que l’on vote. Il n’y a qu’à peser sur oui, abstention ou non. L’électronique fait le reste et en quelques secondes s’affiche le résultat. Au Conseil national nous avions, en plus, un tableau qui montrait qui avait voté et comment. Avec 4000 votants qui n’ont pas de place attribuée, j’admets volontiers que l’on ne puisse pas aller aussi loin.
Les deux principaux discours ont été prononcés par le Président du Conseil d’administration, Paul Bulcke et par le tout récent CEO, Chief Executive Officer, Laurent Freixe. Ces deux hommes nous ont laissé l’impression qu’ils improvisaient leurs discours, mais au fur et à mesure qu’ils s’exprimaient, apparaissaient des images qui illustraient leurs propos comme si cela avait été préparé à la virgule près. Prompteurs ou textes appris par cœur ? Ils ont répondu de façon très circonstanciée aux quelques remarques formulées par des représentants d’Ethos ou de Greenpeace, sur un ton presque familial, en se passant la parole comme dans un club de pétanque, se donnant du Paul et du Laurent, comme de vieux amis qu’ils sont, au service de la multinationale. J’ajoute que si le ton était bon enfant, il y avait beaucoup de non-dits, en particulier lorsqu’on a évoqué le scandale des eaux minérales. Dès l’instant où une eau doit être purifiée, elle n’a pratiquement plus de raison de ne pas être comparée à l’eau du robinet. Comment continuer à la vendre 1000 fois plus chère ? Donc, langue de bois.
Où se trouve la supercherie dans cette « grand-messe » ? L’assemblée désigne un représentant indépendant. Il s’agit de Hartmann Dreyer, Avocats et Notaires à Fribourg, auquel les actionnaires peuvent envoyer une procuration, s’ils n’arrivent pas à participer à l’AG. Dès lors, les principaux actionnaires adressent leurs millions de voix à Fribourg, avec la mission de dire oui à toutes les propositions du CA. Cela donne des résultats absolument soviétiques. Un milliard et demi de voix participent au scrutin en 2025 sur 1’907’913’517 actions, soit 58,5% du capital-actions. Pour rappel, le nominal de l’action est de 10 centimes. Il est encore précisé que le représentant « indépendant » dispose de 99,4% des actions représentées à l’assemblée. Il reste donc aux 4000 personnes présentes, venues de très loin, 0,6% du pouvoir de décision. J’ai dit plus haut, une démocratie exemplaire, il faut dire une démocratie capitaliste. Je comprends mieux pourquoi trop de managers se rient depuis toujours des démocraties politiques avant de les absorber toutes crues.
Les petits-fours étaient remarquables ainsi que le vin proposé à la fin de la manifestation. J’ai cherché en vain quelques connaissances. Juste avant de partir, j’ai eu le plaisir de rencontrer un ami veveysan… député UDC.
Pierre Aguet Vevey, le 19 avril 2025