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Les politiques sociales ont un sexe

Les politiques sociales ont un sexe, elles favorisent les hommes. Elles ont été construites pour protéger le salaire de l’homme « gagne-pain », continuent de reposer sur la norme masculine de l’emploi et profitent largement du travail invisible des femmes. Jean-Pierre Tabin*

Le référentiel sur lequel se sont construites les politiques sociales en Suisse au XXe siècle est celui de la « complémentarité » des rôles masculins et féminins en société. Le législateur est en effet parti de l’idée que la fonction de gagne-pain revenait à l’époux, tandis que l’épouse devait se concentrer, sauf nécessité économique, sur les tâches domestiques. Dans ce contexte, le salaire de l’ouvrier­ marié était conçu comme devant permettre d’entretenir une famille, soit une femme et des enfants, une revendication d’ailleurs soutenue par le mouvement syndical.

Les politiques sociales ont été pensées avec l’idée de protéger ce salaire de chef de famille en cas d’incapacité, qu’elle soit liée à un accident, à une maladie professionnelle, à une invalidité, à la vieillesse… Jusqu’en 1996, la rente AVS de couple était d’ailleurs versée au seul mari, les femmes n’ayant droit à une rente propre que si elles étaient célibataires, divorcées ou veuves ; la durée de cotisation du mari et son revenu étaient en outre les uniques déterminants du calcul de la rente de couple. Jusqu’en 2001, les épouses ne pouvaient avoir droit à des prestations de l’assurance chômage après une interruption d’emploi due à ce que le législateur appelait leurs « obligations familiales » que si leur mari avait un salaire considéré comme bas.

Les hommes ont donc pu profiter dès l’origine de l’Etat social suisse de droits assurantiels grâce à leur participation massive au marché de l’emploi. Au contraire, les épouses, lorsqu’elles n’ont pas d’emploi­, ou que celui-ci ne correspond pas à la norme masculine typique (régulier et à temps plein), ne sont protégées que par des droits dérivés de ceux de leur mari, quand elles ne doivent pas demander l’assistance : elles bénéficient en d’autres termes d’une protection justifiée par le fait que leur condition est considérée comme inférieure. Malgré la loi sur l’égalité de 1995, les femmes restent largement dans une situation d’inégalité dans les politiques sociales.

Les biais sexués des politiques sociales

Les conditions d’accès aux prestations sociales reposent en effet pour une partie importante sur l’emploi. Cela signifie que le niveau et la régularité du salaire influent considérablement sur le droit aux allocations.

Rappelons d’abord que les prestations sociales fondées sur l’emploi­ reposent sur le déni du travail domestique qui n’est pas reconnu comme un emploi lorsqu’il se déploie au sein de la famille, alors même qu’il l’est lorsqu’il s’effectue pour un tiers. De manière générale, l’assurance chômage, l’assurance accidents ou la prévoyance professionnelle ignorent complètement le travail domestique, et la méthode utilisée par l’assurance invalidité pour déterminer le taux d’invalidité des personnes sans emploi le discrimine.

Or, femmes et hommes ne participent pas de la même manière de l’emploi en Suisse. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), le taux d’emploi des femmes âgées de 15 ans et plus en 2011 est de 61 % tandis que le taux d’emploi­ des hommes est de 76 % : cela fait 15 points de différence. Et dans presque un tiers des couples avec un enfant de moins de 6 ans, l’homme est le seul à occuper un emploi. C’est un biais qui discrimine clairement les femmes par rapport aux hommes du point de vue d’une protection sociale fondée sur l’emploi­, puisqu’un cinquième des femmes entre 30 et 45 ans n’ont pas d’emploi­, donc une moindre protection sociale, contre seulement 3 % des hommes.

Mais ce n’est pas le seul biais. Non seu­le­ment les femmes sont moins nombreuses à avoir un emploi que les hommes, mais quand elles en ont un, elles ne l’occupent en général pas à temps plein. En effet, si en 2011 neuf hommes sur dix travaillent à plein temps, ce n’est le cas que de quatre femmes sur dix. Dans presque la moitié des couples avec un enfant de moins de 6 ans, le père travaille à temps plein tandis que la mère travaille à temps partiel, ce qui signifie que leur protection sociale, lorsqu’elle est fondée sur le niveau du salaire précédent, est faible. Comme en outre les salaires que touchent les femmes restent globalement inférieurs à ceux des hommes (de 18 % dans le secteur privé et de 12 % dans le secteur public), les femmes en subissent également les effets dans la protection sociale.

Le type de présence des femmes sur le marché de l’emploi a donc de claires conséquences sur les prestations sociales qu’elles peuvent recevoir, notamment dans toutes les assurances qui calculent leurs prestations en proportion du salaire antérieur perçu, qui reproduisent de ce fait les inégalités sexuées dans l’emploi.

Une compensation problématique

Une partie des inégalités entre hommes et femmes est désormais compensée par des calculs réalisés en fonction des années de mariage. Ainsi, le calcul de la rente AVS tient compte des revenus de chacun des époux (splitting) et le capital de la prévoyance professionnelle est partagé en cas de divorce. Ces droits dérivés, en vertu du lien d’alliance­, renvoient à un modèle familial de revenu unique.

Des droits particuliers concernant les mères ont également été développés dans la protection sociale, comme le congé maternité introduit en 2005 (14 semaines) qui n’est proposé qu’aux femmes qui ont un emploi. Ces droits particuliers ne remettent pas en question la division sexuée des tâches, car en protégeant socialement la qualité de parent ou d’époux, la sécurité sociale soutient d’abord l’institution famille.

Un travail invisible

Enfin, l’activité gratuite des femmes en société autorise à limiter les interventions de l’Etat social : en s’occupant de leurs parents âgés, de leurs enfants, de leur mari vieillissant, elles permettent en effet de contenir la demande en prestations sociales. Comme le montrent les chiffres de l’OFS, les femmes s’occupent plus souvent que les hommes de garde d’enfants et de soins aux parents adultes, mais elles assistent également bien plus souvent leur mari âgé que le contraire, notamment à cause de la différence d’âge au mariage. Ces prestations restent largement invisibles, et la reconnaissance sociale récente de l’activité de celles et de ceux que l’on nomme « proches aidants » ou « aidants naturels » occulte le plus souvent le fait que les femmes sont les principales pourvoyeuses de ces prestations.

Comme on le voit, les politiques sociales ont été construites pour protéger le revenu des pères de famille, les prestations sociales fondées sur l’emploi reproduisent les hiérarchies sexuées et le travail gratuit des femmes diminue la demande de protection sociale. Les politiques sociales profitent donc d’abord aux hommes.

* Jean-Pierre Tabin est professeur à l’Ecole d’études sociales et pédagogiques et à l’Université de Lausanne.

Extrait d’un article paru dans Services Publics­ (journal du ssp), N° 20, 21 décembre 2012.

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