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Traquer le sexisme dans l’imaginaire collectif

A l’occasion des 100 ans de l’émiliE, un livre témoigne de la diversité de la pensée féministe. Interview d’une de ses auteures, Silvia Ricci Lempen.

Riche, multiple, contradictoire souvent, élitiste parfois, la pensée féministe est à la fois le fruit et l’aiguillon des luttes passées, des objectifs futurs et des réflexions actuelles. C’est l’envie de rendre compte de cette vitalité et de cette diversité qui a poussé Martine Chaponnière et Silvia Ricci Lempen à écrire Tu vois le genre. Cet ouvrage accessible au plus grand nombre est édité à l’occasion des 100 ans du journal l’émiliE. On en parle avec Silvia Ricci Lempen, docteure en philosophie, journaliste et romancière.

Les féministes ont mené bien des batailles, remporté des victoires, aussi. Aujourd’hui, le mouvement a-t-il encore un avenir ? Qu’est-ce qu’être féministe en 2012 ?

Silvia Ricci Lempen : Je pense qu’être féministe en 2012, c’est défendre le même idéal de justice qui animait les pionnières du XIXe siècle, mais dans un contexte où l’on se rend compte que, une fois obtenue l’égalité formelle, le plus difficile reste à faire, c’est-à-dire traquer le sexisme dans son dernier bastion : l’imaginaire collectif. Un bastion quasiment inexpugnable ! Donc, oui, il y a de quoi faire…

Entre les féministes ultra-radicales qui rêvent d’utérus artificiels et celles qui estiment que l’égalité entre hommes et femmes passe par l’accession de ces dernières aux conseils d’administration des grandes entreprises, le mouvement semble complètement éclaté, non ?

Oui, il l’est ! Aujourd’hui, une partie des féministes reste attachée à la conviction « traditionnelle » selon laquelle l’humanité est naturellement divisée en deux catégories biologiquement distinctes, entre lesquelles il s’agit de supprimer toute discrimination. Tandis qu’une autre partie estime que la catégorisation hommes / femmes n’est que le produit de la culture patriarcale, et que l’égalité passe par la suppression de cette catégorisation. Ce serait un séisme anthropologique ! En outre, les féministes ne sont pas d’accord entre elles sur toutes sortes de questions plus ponctuelles : le foulard à l’école, la pornographie, la prostitution, les quotas en politique ou l’intérêt de l’intégration des femmes dans un système conçu par et pour les hommes.

Ces contradictions n’empêchent-elles pas le féminisme d’incarner un projet de société alternatif crédible ?

Oui et non. Il est certes plus difficile qu’autrefois de rassembler les femmes autour d’objectifs simples et évidents, comme l’étaient le droit de vote ou la légalisation de l’avortement. Mais d’un autre côté, de nos jours, un projet de société, c’est quelque chose qui s’inscrit dans la complexité du monde, qui est en perpétuel mouvement, qui intègre la contradiction. En ce sens, le pluralisme des féminismes est une richesse pour l’avenir.

En se retranchant dans les universités, le mouvement féministe ne s’est-il pas coupé de sa base ?

C’est vrai qu’il existe aujourd’hui tout un remue-ménage théorique autour du féminisme dont le commun des mortels et mortelles n’a pas forcément conscience, et qui pourtant influence la manière dont les problèmes sont pensés et abordés sur le plan politique. L’objectif de notre livre, c’est justement de jeter un pont entre les deux univers.

Le féminisme s’associe-t-il aux autres luttes contre les discriminations ?

De plus en plus. L’une des idées force du féminisme contemporain c’est qu’il faut dépasser la vision ethnocentrique selon laquelle toutes les femmes seraient assimilables à des bourgeoises blanches occidentales et hétérosexuelles. Les théo­riciennes féministes réfléchissent aujourd’hui à l’imbrication des discriminations basées sur le sexe avec celles basées sur la classe sociale, la couleur de peau, la provenance géographique ou l’orientation sexuelle.

Vous consacrez un chapitre de votre livre à l’amour : les relations affectives sont-elles plus importantes pour les femmes ?

Dans les faits, il semble bien que oui, en tout cas pour une majorité d’entre elles. Mais la nature n’y est pour rien ! On a toujours dit aux femmes que c’étaient elles les dépositaires de la dimension affective, de ce qui se passe dans la sphère de l’intime. Et en même temps, on les a exclues des autres dimensions, de ce qui se passe dans la sphère publique. Pour acquérir leur autonomie émotionnelle, elles ont une sacrée pente à remonter !

Aujourd’hui, on entend souvent dire que les hommes sont « déboussolés ». Qu’en pensez-vous ?

Il est certainement vrai que les hommes sont aujourd’hui amenés à se poser des questions dérangeantes sur leur propre identité. Une petite minorité d’entre eux a fait un chemin extraordinaire en direction d’une société égalitaire. Mais dans l’ensemble, les hommes détiennent encore et toujours le gros du pouvoir et ils s’en accommodent apparemment très bien, rares sont ceux à qui cela pose un problème moral !

Que pensez-vous de ces phénomènes récents que sont les Femen et les Marches des salopes ?

Ce sont des phénomènes typiques de notre société contemporaine, où on ne fait plus avancer les idées avec de belles démonstrations rationnelles que personne n’a la patience d’écouter jusqu’au bout, mais avec des coups d’éclat et des clins d’œil.

Alors pourquoi pas ? J’éprouve de la sympathie pour ces jeunes femmes qui se mettent en jeu personnellement.

Martine Chaponnière et Silvia Ricci Lempen, Tu vois le genre ? Débats féministes contemporains, Editions d’En bas & Fondation Emilie Gourd, 2012.

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