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Conférence de syndicom sur la «délimitation du travail»

Préserver un monde du travail à visage humain

 

«La work-life-balance doit être ancrée dans le cœur d’un syndicaliste», a souligné en introduction Alain Carrupt, qui y voit le remède à la «flexibilisation rampante du temps de travail». Ce sujet brûlant a réuni des spécialistes de syndicom, d’IG Metall, de l’Etat, des milieux économiques, de Swisscom et de l’Union syndicale suisse, le 21 novembre dernier à Berne. La conférence organisée par syndicom a fait salle comble et suscité un vif intérêt.

Alfred Arm*

SECO: la flexibilisation du travail mène à l’isolement 
Daniel Münger, secrétaire Télécom/IT de syndicom et modérateur du séminaire, présente tout d’abord Maggie Graf, responsable de la division Travail et santé au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). Dans son introduction, Maggie Graf rappelle les avantages offerts par la flexibilisation du travail, pour l’employeur (diminution des heures supplémentaires, des allocations, etc.) mais aussi pour les employé-e-s: proximité avec la famille, organisation autonome du travail, etc. Toutefois certaines études ont démontré les effets pervers du processus d’«optimisation du temps» qui, affirme la spécialiste du SECO, conduit à l’isolement. Les répercussions touchent la santé des travailleurs et des travailleuses, notamment avec l’augmentation des burnouts (syndrome d’épuisement professionnel), mais aussi la famille, à travers les difficultés croissantes liées à la garde des enfants. 

Selon les études du SECO, 84% des personnes actives en Suisse se plaignent de rythmes de travail soutenus – alors que dans l’UE, ce chiffre s’élève à «seulement» 59%. La Suisse occupe même le premier rang, peu enviable, de ce classement. 20% de la population suisse indique par ailleurs travailler durant ses loisirs (UE: 15%).

Maggie Graf a également rappelé que l’Etat surveille, par le biais des inspecteurs du travail, l’application de la Loi sur le travail, du Code des obligations et des lois sur les assurances sociales. Le SECO propose en outre des médiations. La discussion en plénum à la fin de la journée a révélé que les inspecteurs du travail sont bien formés dans le domaine technique et ergonomique et en matière de prévention des accidents, mais très peu dans le domaine des maladies types liées à la disparition des frontières entre vie professionnelle et vie privée, comme le burnout. Maggie Graf a assuré que la formation des inspecteurs dans ce domaine est actuellement en cours. 

Union syndicale allemande: transformations révolutionnaires dans l’organisation des entreprises
Klaus Pickshaus, qui a été responsable Travail et santé au comité d’IG Metall, rejoint les propos des syndicats. Il explique que le burnout, «nouvelle maladie de notre civilisation», n’est pas seulement un thème pour les médias ou les décideurs, mais qu’il «est aussi arrivé au cœur de l’activité d’IG Metall». Le Rapport allemand sur le stress dévoile certaines causes de l’augmentation des troubles psychiques, dont les résultats sont comparables à ceux des études suisses (cf. syndicom – le journal N° 15/2013, p.3):

                                                                                                        1998/99       2011/12
Cumul de tâches simultanées                                                        42%             58%
Forte pression sur le temps et le rendement                               50%             52%
Processus de travail répétitifs                                                         45%             50%
Dérangements / interruptions                                                         34%             44%
Etc.

Les transformations dans le monde du travail sont souvent attribuées à la technologie numérique et à l’internet, mais il existe aussi «des mutations fondamentales insidieuses dans les principes de l’organisation entrepreneuriale, et par conséquent dans le caractère même du pouvoir», relève Klaus Pickshaus.

Il nomme ces principes «commercialisation et orientation indirectes»: 

  • Transfert de la responsabilité entrepreneuriale sur les employé-e-s
  • Orientation vers des objectifs abstraits (à l’exemple de la Deutsche Bank, qui préconise 25% de rendement)
  • Réalisation verticale de ces objectifs jusque dans les unités d’organisation au plus bas de la structure hiérarchique, c’est-à-dire par les employé-e-s eux-mêmes
  • Restructurations permanentes: contrôle constant de la rentabilité et adaptations organisationnelles en vue de la maximisation des profits.


«Faites comme bon vous semble, mais soyez rentables»
Les salarié-e-s obtiennent certes une plus grande autonomie – mais ils subissent une pression accrue pour atteindre des objectifs abstraits (de rendement). Peu importe quand et comment, même pendant les loisirs… Les loisirs et la vie privée sont ainsi remis en cause. La pression des marchés financiers (eux aussi abstraits) s’exerce en toile de fond, affirme Klaus Pickshaus: «Répercuter la pression des marchés financiers sur chaque collaborateur», tel est le credo dans les étages supérieurs (citation de Martin Kannegiesser, ancien président de l’association patronale de la métallurgie).

La nouvelle orientation entrepreneuriale découle aussi d’un autre facteur, beaucoup plus visible: la numérisation et les techniques informatiques, qui entraînent une disponibilité permanente et mènent au contrôle des employés et à la «dissolution de l’organisation du travail». Certains grands groupes mettent notamment des travaux en adjudication à l’international via des «clouds». Ce qui conduit à une forme de «travail journalier numérique», mais aussi au report des risques entrepreneuriaux sur les travailleurs et travailleuses et à la dissociation du travail de l’entreprise.

USS: la Suisse, véritable camp de travail

D’après le secrétaire central de l’USS, Luca Cirigliano, c’est en Suisse que l’on travaille le plus en comparaison européenne, soit 43 heures par semaine (contre 40,5 h en Allemagne et 37,5 h en France). Et c’est là aussi que le stress est le plus élevé: 33,5% s’en plaignent selon une étude récente, contre 31% en Allemagne et 27,5% en France.

Luca Cirigliano vante la loi sur le travail entrée en vigueur il y a cinquante ans, qui fait l’objet de revendications de dérégulation du côté des employeurs. Il relève que les syndicats défendent de leur côté des positions «très conservatrices», vu que la Loi sur le travail contient de nombreux points positifs visant à protéger les salarié-e-s. Pour Luca Cirigliano, des concepts et instruments de travail tels que le travail à domicile, le mobilework et le crowdsourcing* sont «pernicieux», car ils conduisent finalement à la précarisation. Il souligne que ces phénomènes caractéristiques de notre époque peuvent et doivent aussi être réglés dans les CCT: «Il faut des accords clairs concernant les questions de responsabilité et de maladie, les pauses, le travail de nuit – aussi pour le télétravail.» 
* transfert de processus de travail vers une main d’œuvre constituée d’un grand nombre d’internautes, un travail numérique à domicile en quelque sorte

Plus de calme et de sérénité!

Le secrétaire Télécom/IT Daniel Münger a présenté le professeur en sociologie Ueli Mäder comme «spécialiste des grands tenants et aboutissants». Une des thèses centrales d’Ueli Mäder est que «la flexibilisation entraîne la précarisation». Des études corroborent l’hypothèse de la santé plus fragile des personnes les moins bien rémunérées. Aussi sa revendication renferme-t-elle plutôt une dimension philosophique: «Il faut introduire plus de calme et de sérénité dans le travail», via une culture d’entreprise humaine et valorisante. Concrètement, il s’agit de créer des îlots de détente, des pauses café, etc. Les employé-e-s doivent avoir leur mot à dire dans ce domaine, souligne Ueli Mäder. 

L’après-midi, Giorgio Pardini a présenté un sondage réalisé dans quatre grandes entreprises télécom suisses, qui a remporté un grand succès. Il sera présenté aux médias au début de l’année prochaine. On attend avec impatience les résultats détaillés!

Débat autour du stress et de la réduction du temps de travail
D’autres aspects importants ont été mis en exergue lors du débat final. Hans Werner, membre de la direction de Swisscom, a évoqué les nombreux instruments de gestion de la santé disponibles à Swisscom et la grande marge de manœuvre des employé-e-s. Il reconnaît que le stress existe. D’après les sondages effectués par Swisscom, seuls 26% des employé-e-s souffrent de stress fréquent et négatif («distress»). Mais il existe aussi un stress positif («eustress») – sans effet nocif sur la santé –, p.ex. avant la réalisation d’une tâche de grande envergure.

Pour Luca Cirigliano, peu importe la distinction établie entre les deux types de stress. «Le fait est qu’il ne cesse d’augmenter.» Pour l’endiguer, il manque selon lui des «outils concrets», donc des instruments de participation solides. Il considère qu’il est urgent et indispensable de régler légalement le travail à domicile et notamment la responsabilité en cas de perte de données.

A l’objection relevée concernant la difficulté des inspecteurs du travail à repérer les contraintes psychiques, Luca Cirigliano oppose l’absence de pauses, le temps supplémentaire, le travail de nuit et du dimanche: «Ce seuil de contrainte psychique peut être bien contrôlé, à condition que le législateur oblige les entreprises à assumer une responsabilité en matière de stress.»

Klaus Pickshaus se dit défavorable à la réduction du temps de travail: «Elle ne sert à rien si l’on n’intervient pas sur l’intensité du travail.» La raison en est simple: les employeurs réagissent à la réduction de la durée du travail par une concentration du travail. Ce qui accroît à nouveau le stress – un véritable cercle vicieux. Les syndicats doivent donc élaborer des revendications quant au nombre de places de travail prévues pour réaliser un certain nombre de tâches.

«Il est grand temps que la situation change. Il existe différents niveaux où nous pouvons prendre le taureau par les cornes, souligne Klaus Pickshaus. Les salarié-e-s sont les meilleurs experts de leur travail et de leur santé.» Et ne l’oublions pas: «C’est par les apports de tous ses membres que le syndicat se renforce!»

*Membre de la commission de la santé de syndicom. Il a étudié les sciences sociales et l’économie à Berne et est aujourd’hui journaliste RP et coach spécialisé dans le conseil de carrière (www.roter-faden-finden.ch) et le burnout (www.burn-for.ch).

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