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Flexible, mais pas totalement disponible

Employeurs et droite bourgeoise affirment sans cesse que leurs employés rêvent de flexibilité. Mais les deux ne donnent pas le même sens à ce mot ! syndicom et l’USS combattront vigoureusement l’attaque en cours contre la réglementation du temps de travail.

 

Les initiatives parlementaires Graber et Keller-Sutter sont une violente attaque contre la loi sur le travail. A l’avenir, les « spécialistes » et les cadres devraient être exclus des dispositions de protection relatives à la durée du travail. Selon les statistiques, environ un tiers des employé·e·s ont une fonction de cadre. Si par « spécialistes » on entend des personnes titulaires d’un diplôme du degré tertiaire, leur part des salarié·e·s est même de 40 %. La NZZ émet l’hypothèse que la durée du travail d’au moins 500 000 salarié∙e∙s ne serait plus réglementée. Pour ces derniers, la saisie du temps de travail ne s’appliquerait plus, de même que les dispositions sur la durée maximale de travail et l’interdiction du travail de nuit et du dimanche.

A la Commission de l’économie et des redevances (CER) du Conseil national, la droite, très majoritaire, s’est facilement imposée en février face à la gauche lors du vote sur les motions. C’est maintenant à la CER du Conseil des Etats de formuler un projet le 31 août. Un objet à suivre de près à la rentrée !

 

Modernisation, avec protections

Concernant l’enregistrement de la durée du travail (EDT), les syndicats n’ont jamais été fermés à une modernisation des règles ; cela, pour autant que les intérêts des salarié∙e∙s et la protection assurée par la loi soient respectés. Cela s’est traduit dans l’accord des faîtières des partenaires sociaux sur une simplification de l’EDT à travers les nouveaux articles 73a et 73b de l’ordonnance (OLT 1) entrés en vigueur au 1er janvier 2016. On comprend d’autant moins ces attaques parlementaires frontales puisqu’elles ont été lancées pratiquement en même temps que l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Cela, avant même qu’une première évaluation sérieuse des nouvelles règles ait été faite.

Autonomie et satisfaction

Les employé∙e∙s qui disposent d’une grande autonomie dans ce domaine, qui peuvent donc décider eux-mêmes leurs horaires, sont a priori plus satisfaits de leur travail et en mesure de mieux faire face aux facteurs de stress. L’autonomie en matière de temps de travail est ce que l’on appelle un facteur de résilience. Elle augmente la capacité à résister psychiquement.

Les propositions de déréglementation Graber et Keller-Sutter arrivent à un moment où l’autonomie des travailleurs et travailleuses diminue en Suisse et les temps de travail plus irréguliers se multiplient (cf. encadré ci-dessous).

L’employeur décide de la flexibilité croissante comme il l’entend et dans son intérêt. Une fois 40 heures par semaine, une fois 60, une fois jusqu’à 18 h, une fois jusqu’à 22 h et, ensuite, recommencer le travail à nouveau à 7 h 30 ou seulement l’après-midi. Or cette flexibilité n’est pas souhaitée par les employé∙e∙s, elle est une exigence de l’employeur. Les plans d’intervention, les équipes et les temps de présence sont modifiés au dernier moment et les objectifs ou délais sont trop souvent irréalistes. La flexibilité ainsi entendue dans un sens favorable au patron est un vrai parcours du combattant pour les employé∙e∙s, et surtout pour ceux qui ont des obligations familiales ou des problèmes de santé.

Le but visé par les interventions de Madame Keller-Sutter et de Monsieur Graber est donc évident : travailler de manière « encore plus flexible », quand et comment l’employeur le veut, être piloté de l’extérieur, encore plus de stress, travailler plus longtemps – et même régulièrement – la nuit et le dimanche. Et tout cela, sans enregistrement du temps de travail.

protection de la santé : Revendications concrètes

L’Union syndicale suisse (USS) ne demande pas seulement au Parlement de stopper ces interventions. Au contraire, des améliorations sont indispensables pour la protection contre les risques pour la santé au travail et afin qu’il soit plus facile de planifier ses activités professionnelles :

• Les dispositions de protection de la santé doivent aussi s’appliquer au télétravail. L’enregistrement de la durée du travail et les dispositions sur la durée de repos doivent en particulier être respectés.

• Des suppléments sont à prévoir pour compenser les inconvénients subis sur le plan temporel, notamment pour le travail du soir.

• Les horaires de travail doivent tenir compte des besoins des familles : il faut garantir aux salarié∙e∙s qui ont des obligations familiales la possibilité de planifier leurs interventions. Les plans d’intervention doivent leur être communiqués au moins quatre semaines à l’avance. Les modifications décidées au dernier moment ne doivent être autorisées qu’en cas d’urgence pour l’entreprise et sont à assortir d’un supplément de 25 %.

• Les plans d’intervention – et en particulier les services de piquet et l’accessibilité – doivent être conçus à l’aide de méthodes modernes, les employé∙e∙s doivent être entendus et avoir des droits de participation. Dans le cas de services de piquet, les temps d’attente doivent être réduits au minimum et un supplément de salaire de 25 % au moins doit être versé.

Médecins du travail contre ces initiatives radicales

La radicalité de ces deux initiatives parlementaires inquiète aussi la Société suisse de médecine du travail. Elle dénonce le fait que le renoncement à l’enregistrement de la durée du travail ouvrira pour beaucoup tout grand la porte à l’auto-exploitation et à l’épuisement professionnel. Son constat est clair : si les prescriptions de la Ltr sont assouplies, l’épuisement et les problèmes musculo-squelettiques vont augmenter.

Les contraintes psychiques imputables à l’organisation du travail constituent aujourd’hui la problématique de santé prédominante en rapport avec le travail. Sont surtout concernées ici les catégories professionnelles pour lesquelles l’initiative parlementaire Keller-Sutter veut restreindre la possibilité d’un autocontrôle de la durée de travail, ou les branches des services visées par la motion Graber. Les dépressions, les troubles anxieux et les absences prolongées pour cause de syndrome d’épuisement (burn-out) augmentent fortement.

Il règne une concurrence incessante quant aux possibilités d’avancement et aux positions hiérarchiques ; en règle générale, ces personnes sont très fortement orientées sur la performance et le succès. Cette situation conduit, dans des cultures et des structures organisationnelles pernicieuses, à nier les contraintes, jusqu’à l’auto-exploitation, avec les conséquences psychiques négatives déjà évoquées qui s’ensuivent.

Renoncer à enregistrer ses heures, ce n’est Pas une flexibilisation favorable

Le renoncement à l’enregistrement de la durée du travail est souvent justifié par le souhait d’autonomie des employé∙e∙s et introduit comme preuve de la confiance que l’employeur fait à ses salarié∙e∙s. Les systèmes d’enregistrement de la durée du travail qui permettent cette flexibilité et n’entament pas l’autonomie sont déjà tout à fait possibles aujourd’hui.

La saisie contrôlable du temps de travail reste la meilleure mesure permettant d’envoyer assez tôt des signaux d’alarme en cas de risque de surcharge. Si la saisie de la durée du travail tombe, la limite qui permet de délimiter temps de travail dû et travail supplémentaire, ou heures de travail en plus, tombera aussi. Renoncer à enregistrer ses heures n’est par contre pas un élément de flexibilisation positif favorable aux salarié·e·s, mais il ouvre toute grande la porte à l’auto-exploitation et à l’épuisement professionnel.

Développement inquiétant des conditions de travail en suisse

La European Working Conditions Survey (EWCS) est la plus vaste enquête sur les conditions de travail en Europe. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) vient de publier le volet suisse de la dernière enquête européenne sur les conditions de travail. Le constat est sans appel : si les salarié∙e∙s suisses travaillent dans de relativement bonnes conditions, au cours des dix dernières années, le stress a augmenté, l’autonomie des salariés a baissé et les contraintes physiques se sont alourdies. Très inquiétant à l’heure où Graber et Keller-Sutter veulent déréglementer la durée du travail. Plus du tiers des participants à l’enquête indiquent qu’il se sentent le plus souvent, voire toujours, épuisés en fin de journée. Les employeurs décident toujours plus quand il faut travailler et exigent toujours plus de flexibilité : • En 2005, 14,3 % des salarié∙e∙s de Suisse pouvaient encore entièrement décider quand ils travaillaient, ils n’étaient plus que 11,7 % en 2015.

• En 2005, 33,5 % des employé∙e∙s pouvaient encore décider de manière autonome, dans un cadre donné, quand ils travaillaient, ils n’étaient plus que 19,5 % en 2015.

• En 2005, 45 % des salarié∙e∙s indiquaient que l’entreprise fixait les horaires de travail sans qu’il soit possible de les modifier, en 2015, ils étaient déjà 58,1 %.

• En 2005, 88,1 % des employé∙e∙s indiquaient pouvoir bien concilier leurs obligations familiales et sociales avec leurs horaires de travail, en 2015, ils étaient déjà un peu moins (87,8 %).

Ces tendances sont dangereuses parce que, selon une autre étude (ESENER), seules 45,2 % des entreprises en Suisse évaluent régulièrement les risques, par exemple sur le stress au travail. Des mesures de prévention ne sont donc que rarement prises. (YS)

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