Le CCT de l’industrie graphique en cinq rondes
24 JUIN 2015
Le premier jour de négociation du CCT de l’industrie graphique, la bonne nouvelle était que deux accords avaient été signés. L’un sur la formation continue, qui garantit le financement de nos cours dans le cadre du programme Helias, et l’autre sur la déclaration de force obligatoire générale (DFOG) du CCT.
Mais le problème était que Viscom voulait profiter de ces négociations pour proposer toute une série de mesures de démantèlement : semaine de 42 heures comme durée ordinaire du travail, réduction de moitié des suppléments pour le travail de nuit – aussi dans les imprimeries de journaux, suppression d’une partie des salaires minimaux, etc.
24 août 2015 Au deuxième tour de négociation, les syndicats ont présenté à Viscom leur principale revendication, un modèle de retraite anticipée, en expliquant que c’est un modèle non seulement applicable, mais aussi nécessaire. Car c’est le personnel âgé qui subit les conséquences majeures de chaque restructuration et fermeture d’entreprise, et qui est souvent contraint d’avoir recours au chômage. Viscom s’y est opposée et veut continuer à se servir dans le porte-monnaie des employé·e·s de l’industrie graphique.
16 septembre 2015 Lors de cette ronde de négociation, les responsables des directions des principaux centres d’impression de journaux (Tamedia ZH, BE et Bussigny, Ringier, St. Galler Tagblatt, AZ Medien et Centro stampa Ticino) auraient dû venir négocier en personne avec les commissions du personnel (CoPe). Deux jours avant les négociations, ils informaient qu’ils ne viendraient pas et que la délégation ad hoc désignée les représenterait. Malgré cette volte-face, nos collègues ne se sont pas découragés. Ils ont exprimé un Non clair aux réductions de salaires de 800 à 1000 fr. par mois induites par les requêtes de Viscom visant à réduire les suppléments pour le travail de nuit. Une lettre de protestation a été lancée parmi le personnel de ces centres d’impression.
30 septembre 2015 En moins de deux semaines, 480 signatures ont été récoltées en faveur de la lettre de protestation pour s’opposer à la non-venue des représentants des centres d’impression les plus importants et pour refuser ce démantèlement des conditions de travail. 70 % des employé·e·s ont ainsi signé la lettre. Résultat partiel ? Aucune suppression des suppléments. La durée ordinaire du travail reste fixée à 40 heures. Les salaires minimums restent inscrits dans le CCT. L’introduction de la semaine de 42 heures est possible, aussi pour les imprimeries de journaux, mais seulement sur accord écrit entre la direction et la CoPe ou les travailleurs concernés. On commence alors à y voir un peu plus clair dans le tunnel.
4 novembre 2015 Malgré la tentative de Viscom de remettre en discussion les 42 heures de travail comme durée ordinaire pour les imprimeries commerciales, un compromis a finalement été trouvé. Les suppléments pour le travail de nuit restent équivalents à ceux fixés dans l’actuel CCT. Les salaires minimaux demeurent inchangés. L’introduction éventuelle des 42 heures ne pourra intervenir que sur accord écrit. Ce sera aussi le cas dans les imprimeries de journaux. Le CCT est valable trois ans et sera déclaré de force obligatoire générale.
Angelo Zanetti
Ainsi a été vécue la négociation par les délégués·e·s du personnel
Hansruedi Looser, imprimeur, président de la commission du personnel, Centre d’impression Tamedia de Zurich
Je participais pour la première fois à des négociations CCT et j’ai été surpris par la véhémence qui a marqué leur déroulement. En tant que président de la commission d’entreprise du centre d’impression zurichois de Tamedia, j’ai déjà assisté plusieurs fois à des négociations dans l’entreprise, mais elles étaient menées avec plus d’égards.
À plusieurs reprises, j’ai eu l’impression qu’on ne nous écoutait pas vraiment. Il n’y avait pas de respect mutuel. De façon générale, les négociations ont été beaucoup plus rudes que je ne m’y attendais.
Je me suis énervé dès le premier tour de négociation, quand les représentants de Viscom ont refusé d’entrer en matière sur notre unique revendication, concernant un modèle de retraite anticipée. Lorsqu’ils ont ensuite menacé de rompre les négociations si nous refusions d’abandonner notre revendication, j’étais vraiment très irrité.
J’ai été très soulagé quand Viscom a finalement cédé sur les suppléments pour le travail de nuit dans les imprimeries de journaux, renonçant à leur réduction. C’est le mandat qui m’avait été confié par mes collègues. Les suppléments restent donc fixés à 70 %, comme aujourd’hui.
En fin de compte, le résultat que nous avons obtenu n’est peut-être pas extraordinaire, mais c’est néanmoins un résultat raisonnable dont je suis satisfait, compte tenu de notre situation.
La bataille a été rude et bien que nous n’ayons rien gagné, nous n’avons pas perdu grand-chose non plus. Au foot, on dirait que nous avons encaissé quelques buts, mais les entrepreneurs aussi. Je dirais qu’à la fin le score était de 2 à 1 pour Viscom. En revanche, nous disposons d’un CCT que les employeurs consentent enfin à déclarer de force obligatoire.
Ces longues semaines de négociation n’ont pas été faciles, et nous avons souvent douté du résultat. Aujourd’hui, je ne jubile pas, mais je suis quand même heureux du résultat obtenu.
Pierre Djongandeke, Relieur, responsable de la commission du personnel et vice-président de la branche industrie graphique de syndicom, Atar Roto presse, Genève
Comparativement à d’autres années, et j’ai déjà participé à deux autres négociations du CCT, celle-ci était beaucoup plus difficile avec cette volonté de Viscom de démanteler les acquis tout en fermant d’emblée la porte à toute proposition comme notre revendication principale de la retraite anticipée. La position patronale était claire dès le premier jour : cette convention coûte trop cher en l’état, surtout si l’on veut la déclarer de force obligatoire. La suite a été difficile, notamment pour éviter la rupture des négociations. Viscom voulait à tout prix que les 42 heures soient considérées comme le temps de travail normal pour tout le monde et attaquer les acquis. À l’issue des discussions, les 40 heures restent le temps de travail normal, avec un passage possible à 42 heures selon un dispositif précis prévu. Les acquis ont été sauvés pour les personnes en place mais, malheureusement et il faut le déplorer, pas pour les nouveaux venus dans la branche. Je recommande malgré tout de signer le CCT. Nous avons encore la possibilité de garder les 40 heures comme norme et cela a été très difficile à obtenir. Par ailleurs, les entreprises dans nos branches, et en particulier en Suisse romande, sont très touchées, comme en témoignent la fermeture de la rotative de l‘Imprimerie Saint-Paul à Fribourg, la fermeture du centre d‘impression de la SNP à Neuchâtel, la fin des IRL+, le licenciement collectif d‘une dizaine de personnes à M+S Reliure à Yvonand (VD) et la faillite de SRO-Kundig à Genève. Dans ce contexte-là, l’accord que nous avons négocié est acceptable. Il est important que le CCT soit signé au 1er janvier 2016 pour éviter la déréglementation. Il faut que les collègues de l’industrie graphique viennent le 5 décembre à la conférence de branche pour prendre connaissance de la manière dont se sont passées les négociations et surtout qu’ils s’engagent ! Il faut se positionner clairement sur ce que l’on veut : accepter le résultat et signer cette convention ou, s’il y a une autre proposition, il faudra alors organiser la mobilisation. Il faut un débat sans concession et un vote clair et net.
Niklaus Dähler, Team Leiter prépresseet multimédia,Fröhlich Info AG, Zollikon
J’ai participé pour la troisième fois aux négociations, en tant que président de la branche et responsable de la délégation de négociation du personnel, aux côtés des syndicats. Ces négociations ont été plus courtes et plus intenses. Le début de la cinquième ronde a été le moment le plus difficile pour moi, car les employeurs ont remis en cause tout ce qui nous semblait avoir été convenu. Quand nous nous sommes enfin approchés d’un accord, dans l’après-midi du cinquième tour de négociation, j’ai été d’autant plus heureux.
Déjà bien avant le début des négociations, il était clair que les imprimeries de journaux allaient jouer un rôle prépondérant, car les plans de démantèlement concernaient surtout les conditions de travail de ce secteur. La récolte de signatures dans les imprimeries de journaux s’inscrivait aussi dans ce but. Le signal a manifestement été entendu par les employeurs, même s’ils n’étaient pas présents dans la salle.
Les salarié·e·s actuels de la branche ne devraient subir presque aucun démantèlement dans le nouveau CCT. Mis à part la garantie des droits acquis dans les imprimeries de labeur, les mesures concernent « seulement » les nouveaux employé·e·s ou ceux qui changent d’emploi. Un « seulement » qui est bien sûr douloureux et que nous aurions souhaité empêcher. Compte tenu de la situation dans laquelle se trouve l’industrie graphique, on ne saurait dire que tout est préférable à l’absence de CCT, mais le résultat obtenu l’est certainement. Le CCT préserve des salaires minimaux, cinq semaines de vacances, des suppléments pour le travail de nuit de 50 % au moins… Ces acquis sont honorables.
Il est important de participer à la conférence de branche du 5 décembre parce que la discussion sur les droits syndicaux et le CCT n’est jamais terminée une fois pour toutes. C’est un processus permanent qui doit se poursuivre et s’adapter continuellement aux nouvelles circonstances. Je tiens encore à adresser un grand merci à tous les représentant·e·s de la délégation de négociation. C’est une tâche difficile et il faut beaucoup de courage pour défendre ouvertement ses droits et ceux du personnel.