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Le long chemin des plaintes à l’OIT

Depuis plus de dix ans, une véritable partie de ping-pong s’est engagée entre les syndicats et la Confédération pour qu’une plainte auprès de l’OIT concernant la protection contre les licenciements antisyndicaux aboutisse à une amélioration de la législation suisse sur ce point. Suite à une plainte de l’USS en 2003, le comité de la liberté syndicale du Bureau International du Travail (BIT) avait prié la Suisse de mettre sa législation en conformité avec la convention 98 de l’OIT qui prévoit pareille protection.

Se fondant sur le refus du patronat, le Conseil fédéral a tergiversé. Des projets de révision du Code des obligations – qui avaient conduit à une suspension en 2009 de la plainte par l’USS -  ont échoué ou prennent la poussière dans un tiroir. L’USS a donc réactivé sa plainte en 2012 suite aux infractions chroniques en la matière. Une autre plainte a été déposée par le syndicat ssp suite à des  licenciements durant une grève (La Providence à Neuchâtel). Sur demande de la Confédération, deux études menées par l’Université de Neuchâtel donneront sans doute une nouvelle impulsion ces prochains mois. Sinon, la Suisse sera un des rares pays d’Europe à ne pas suivre les recommandations contraignantes de l’OIT.

 

 
3 Questions à LUCA CIRIGLIANO, Secrétaire central de l’USS
Le jugement du Tribunal fédéral dans l’affaire Radio Fribourg s’inscrit dans le cadre plus général de la lutte pour la protection contre les licenciements antisyndicaux. La liberté syndicale et son exercice sont reconnus par l’art. 28 de la Constitution fédérale. De plus, la Suisse a ratifié la Convention n° 87 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la Convention n° 98  sur le droit d’organisation et de négociation collective. Le point avec le spécialiste du dossier à l’Union syndicale Suisse (USS), Luca Cirigliano.

syndicom, le journal : Le tribunal fédéral a reconnu le caractère abusif des licenciements à Radio Fribourg. Ce jugement est-il donc une victoire ?
Luca Cirigliano : C’est une victoire. C’est important que l’on voie que les mécanismes de la loi et la jurisprudence fonctionnent. C’est important que la justice fasse une application correcte de l’art. 336 du CO qui dit que les représentants du personnel ont droit à une protection nécessaire pour défendre les travailleurs sans craindre de sanctions de leur employeur.

Cette décision va-t-elle améliorer la protection des représentant-e-s des salariés ?
Oui, même si c’est surtout une confirmation du bon fonctionnement de la justice et de l’application de la loi. C’est aussi le résultat d’un grand travail de la part des syndicats de défendre ces cas-là devant les tribunaux et de les porter en dernière instance en cas de recours de l’employeur. Ce cas faisait partie de ceux signalés à l’OIT lors de la réactivation de la plainte de l’USS contre le gouvernement et l’Etat suisse en septembre 2012.

Ce jugement n’est-il pas suffisant pour que l’USS retire sa plainte auprès de l’OIT ?
Non, car ce cas démontre également les limites de la loi actuelle. On peut se demander si une indemnisation d’une dizaine de milliers de francs suffit vraiment dans un cas pareil. L’OIT avait encouragé la Suisse à s’inspirer de la loi sur l’égalité qui prévoit la réintégration de la personne licenciée lorsque le juge constate le caractère abusif du congé. L’OIT dit clairement que la sanction doit être annulée par une réintégration volontaire en cas de licenciement abusif ou alors être réellement dissuasive : 2 à 6 mois (au mieux et très rarement) de salaires, c’est bien peu de chose. Pour le moment le droit suisse n’est pas encore compatible avec le droit international. (Yves Sancey)

 

 

 

«Un verdict d’une grande importance»
Commentaire sur l’arrêt du Tribunal fédéral du 7 juillet 2014

Le licenciement de deux journalistes de Radio FR était abusif. Le Tribunal fédéral est également arrivé à cette conclusion. Commentaire de Stephanie Vonarburg, secrétaire centrale de la branche Presse et médias électroniques, sur la protection des représentants du personnel.

Dans un arrêt du 7 juillet, le Tribunal fédéral (TF) a reconnu que le licenciement prononcé par Radio Fribourg d’André Huegli et Jean Godel l’a été en leur qualité de délégués du personnel et jugé, dès lors, que le licenciement était abusif. Les considérants ont été communiqués fin août. Les deux journalistes sont très satisfaits que le TF reconnaisse comme légal leur engagement dans la défense des collaborateurs et collaboratrices de Radio Fr (Radio Fribourg et Radio Freiburg).

En 2010, dans la période agitée qui a suivi le départ du codirecteur alémanique, que le conseil d’administration avait annoncé ne pas vouloir remplacer, les deux journalistes avaient participé à la délégation du personnel désignée par la rédaction pour une conciliation avec l’employeur. Mais le conflit s’envenima et l’employeur ne voulut rien entendre: il licencia les deux journalistes. Des licenciements abusifs, comme vient de le confirmer le Tribunal fédéral.  

La petite chaîne de radio locale va donc payer de lourdes conséquences: non seulement elle devra verser deux mois de salaire aux journalistes, mais surtout acquitter les débours des deux parties aux trois instances, soit les frais d’avocat et de justice. Sans parler de sa réputation, elle aussi ternie.

Il n’en reste pas moins que les employé-e-s concerné-e-s se passeraient bien de devoir mener une bataille juridique pendant quatre ans pour faire valoir leurs droits. Même si le syndicat est là pour les défendre, les conseiller et les soutenir de manière concrète, en application de la protection juridique.   

Cette affaire met en évidence une réalité peu glorieuse: en Suisse, la protection contre le licenciement est largement insuffisante pour les représentant-e-s du personnel. Les employé-e-s qui défendent les intérêts des travailleurs et des travailleuses doivent pouvoir agir sans crainte de sanctions. C’est la seule façon de garantir un dialogue d’égal à égal avec l’employeur.   

Par conséquent, il est juste que les syndicats, sous la direction de l’USS, continuent à s’engager pour améliorer la protection contre le licenciement au niveau de la loi. Les commissions du personnel sont aussi importantes pour les rédactions. Les conflits collectifs de ces dernières années l’ont prouvé: quand des commissions du personnel résolues et organisées se lancent confiantes dans la bataille avec les syndicats, il est possible de faire progresser les intérêts des journalistes. (Stephanie Vonarburg / 3.9.14)

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