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Le mal-être des postiers européens

Une enquête publiée dans une revue anglaise dresse un constat inquiétant des conséquences humaines que peut entraîner la concurrence accrue régnant dans le marché postal de plusieurs pays de l’Union européenne.


Bretagne. Début mars 2012. En trois semaines, deux nouveaux employés de la Poste française se sont suicidés. Les témoignages recueillis ne laissent planer aucun doute : cette double tragédie n’est pas une coïncidence. Voilà des mois que les deux malheureux se plaignaient de leurs conditions de travail : stress grandissant, accumulation des heures supplémentaires, précarité galopante. Et surtout, ce sentiment diffus d’un manque de reconnaissance pour l’immense tâche accomplie. Mise sous pression par l’émotion médiatique provoquée par ces drames, l’entreprise décide alors de nommer un « médiateur social » chargé de faire le lien entre la direction de l’entreprise et la base afin de tenter de relayer de manière préventive le mal-être des postiers français. Service social minimum.

 

Dans l’Union européenne, ce mal-être est loin de ne concerner « que » les postiers français. Une enquête récemment parue dans la « London Review of Books » reprise dans « Courrier international » (*) a de quoi donner froid dans le dos. Alors que la poste britannique se prépare à la privatisation programmée pour 2013, son auteur s’est rendu aux Pays-Bas, pionniers en matière de libéralisation et d’externalisation du tri et de la distribution du courrier.

 

Résumé succinct
James Meek, l’auteur de cet article, grand reporter et écrivain britannique, a notamment suivi la journée-type d’une employée néerlandaise de deux entreprises privée chargée de trier à domicile puis de distribuer lettres, magazines et catalogues. Totalement dépassée par un manque de soutien et une absence de moyens dignes de ce nom, cette factrice voit s’amonceler dans son appartement plus de soixante caisses pleines de courrier en retard. La scène décrite a de quoi laisser pantois : « J’ai observé le tri du courrier par notre factrice dans sa cuisine. Elle le répartissait en tas sur chacun des deux égouttoirs en acier de son évier, qu’elle avait soigneusement séchés après la vaisselle du soir. Il y avait surtout des catalogues Ikea, dont la couverture montrait un ensemble de meubles en bois clair, gais, sous un éclairage raffiné. Le catalogue d’Ikea ne prévoit aucun espace adapté au tri du courrier ».

 

Humour british…

Aux Pays-Bas, poursuit cette enquête, les opérateurs privés se livrent à une guerre fratricide. Et selon son auteur, elle se fait sur le dos de leurs employés de plus en plus précarisés, comme la factrice dont il poursuit le portrait : « Elle évalue son temps de travail à une trentaine d’heures par semaine pour les deux sociétés et gagne environ 5 euros de l’heure, alors que le salaire minimum aux Pays-Bas varie entre 8 et 9 euros de l’heure. Elle n’a pas de contrat. Elle n’a pas droit au congé maladie, ne cotise ni à la retraite ni à l’assurance-maladie. L’une des deux sociétés lui accorde des congés payés au compte-gouttes (…), lui a fourni une veste et un sweat-shirt mais pas de chaussures de travail, et elle doit payer de sa poche l’entretien de son vélo. (…) Les sociétés postales privées font en sorte que le contenu du sac postal des facteurs ne leur permette jamais de gagner plus de 580 euros par mois, seuil au-delà duquel elles seraient obligées de les employer en CDI ».


Le réquisitoire contre les conséquences humaines de la privatisation du marché postal aux Pays-Bas s’étale sur plusieurs pages et ne manque pas d’interpeller. Bien sûr, il s’agit d’une enquête à charge, à manier avec précaution. Vouloir l’extrapoler dans d’autres pays serait abusif. Mais une réflexion de son auteur interpelle : « Le marché postal a été libéralisé au nom du consommateur, nom que l’on donne désormais aux anciens citoyens d’Europe. », affirme James Meek. Et semble-t-il aussi hélas aux dépens de certains employés postaux de plus en plus mis sous pression et de plus en plus précarisés. Au risque d’y laisser leur vie.

 

Mohamed Hamdaoui

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