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L’empire Hersant en Suisse

L’annonce en novembre de la fermeture du centre d’impression de Neuchâtel, propriété de la Société Neuchâteloise de Presse (SNP), dont le capital est détenu majoritairement par le groupe français Hersant, et de 35 licenciements, a remis en lumière la présence de ce groupe de presse en Suisse. Eclairage.

 

Né en 1957, Philippe Hersant, dirigeant du groupe Hersant Média (GHM), est un des fils de Robert Hersant, qui était surnommé « le papivore », en raison de ses nombreuses acquisitions de journaux. Philippe a hérité en 1985 de la partie antillaise de l’empire Hersant, le groupe France-Antilles (devenu GHM en 2006). Refusant toute interview comme son père, Philippe en a également hérité une certaine conception de son métier. Dans leur livre Info popcorn, Christian Campiche et Richard Aschinger indiquent en effet que « sa stratégie ramène le rôle d’éditeur de journaux à celui d’un marchand de savonnettes. La qualité de l’information n’est pas le souci premier des journaux régionaux possédés par Hersant en France ».

Chute française de la maison Hersant

Dans les années 2000, du fait de l’endettement considérable de GHM, Hersant se désengage, vend de nombreux titres et restructure.

Le transfert massif des annonces gratuites vers le Web a été négocié trop tardivement, avec des concurrents bien implantés. En 2011, Hersant dépose le bilan de sa société de journaux gratuits ParuVendu et de son centre d’impression. A la clé, le plus gros plan de licenciement en France en 2011 : plus de 3000 salarié·e·s virés, après des années d’ancienneté, avec en poche le seul minimum légal. L’affaire est toujours devant les Prud’hommes, avec 356 dossiers. En 2012, les banques l’obligent à céder plusieurs titres. Dans Le Nouvel Obs (27.2.2012), le syndicat national français des journalistes (SNJ) dénonce la faillite du journal Paris Normandie due à des déficits structurels organisés : versement exorbitant de taxes managériales ( managements fees ) à GHM, vente d’actifs dont l’entreprise n’a pas vu la couleur, rotative faite d’un assemblage biscornu de vieilles machines, etc.

En mai 2014, le groupe Nice-Matin, propriété de Hersant, est placé en redressement judiciaire, puis repris en novembre par une coopérative de salariés, soutenue par Bernard Tapie. L’intersyndicale CGT-SNJ-CGC dépose en juin une plainte visant l’actionnaire principal GHM, pour banqueroute et abus de biens sociaux. « Trois millions d’euros ont été pompés chaque année depuis 2008 dans la trésorerie de Nice-Matin, qui sont en réalité des dividendes déguisés. Hersant a fait payer à Nice-Matin des services dont nous n’avions pas besoin, des ‹ managements fees › tels qu’un service informatique et un service juridique » indique Jean François Roubaud, du SNJ, cité par L’Humanité (5.6.2014).

En 2014, l’empire Hersant finit de se désagréger outre-mer avec, le 30 septembre, le placement en redressement judiciaire du quotidien France-Antilles Martinique, en cessation de paiement. Philippe Hersant « a complètement abandonné un navire amiral en train de couler », déplore le SNJ.

Exil fiscal

Cela est ressenti d’autant plus fortement que, comme l’indique ladepeche.fr (19.2.2011), « les salariés reprochent entre autres à Philippe Hersant de céder ses bijoux de famille en France mais de se constituer un nouvel empire en Suisse, sur le lac Léman ». Un empire helvétique « financé par les bénéfices accumulés, entre autres, sur le dos des salariés français et les ventes de titres », dénonce le SNJ. Depuis 2004, Hersant a en effet élu domicile à deux pas de Genève, à Presinge. Dès lors, la presse française le traite volontiers d’exilé fiscal. Il faut dire, explique Le Temps (24.7.2010), qu’au moment où il s’apprête à vendre ses parts dans Socpresse (4e groupe de presse français) à Dassault, « un exil fiscal lui permet d’échapper à l’impôt sur les plus-values sur les ventes d’actions et d’être au plus près de ses affaires suisses ». En 2011, il figurait dans la liste du magazine Bilan des 300 plus riches de Suisse, avec une fortune estimée entre 80 et 160 millions d’euros.

Base arrière helvétique

Depuis 2001, Philippe Hersant s’est constitué une base arrière solide en Suisse, où il a lancé une active campagne d’acquisitions et compte désormais quatre quotidiens. Par le truchement d’Editions Suisses Holding (ESH), installé à Fribourg, Philippe Hersant possède une participation majoritaire dans le groupe Filanosa, avec dans son escarcelle de nombreux titres. Hersant est propriétaire de La Côte (depuis 2001) à Nyon, et majoritaire dans L’Express (Neuchâtel) et L’Impartial (La Chaux-de-Fonds) depuis 2002 quand l’éditeur de la SNP, Fabien Wolf­rath, lui a ouvert son capital. En 2010, Le Nouvelliste tombe entre ses mains et il est l’actionnaire principal de Rhône Média. ESH détient également des participations dans la télévision genevoise Léman Bleu et 35 % du capital de TVM3. Selon Le Point (21.12.2012), le groupe suisse d’Hersant compterait 350 salariés et réaliserait un chiffre d’affaires de 70 millions d’euros (93 millions de francs suisses d’alors).

Changement de méthode ?

Les espoirs déçus d’Hersant d’entrer au capital de La Liberté de Fribourg ( Bilan, 4.7.2011) et l’échec d’une imprimerie commune, évoquée un temps, avec le groupe Saint-Paul qui a préféré imprimer ses journaux chez Tamedia à Bussigny (VD), semblent avoir scellé le destin du centre d’impression de Neuchâtel, fermé en novembre. Datant de la fin des années 1980, les installations auraient nécessité un renouvellement trop coûteux, avait indiqué la SNP. Hersant a surtout fait le choix, rentable à court terme pour lui, de ne pas investir, quitte à perdre une partie de son indépendance. Au final, ce sont 35 personnes qui sont licenciées (voir l’article ci-dessous sur l’aboutissement du plan social et syndicom, le journal n° 15, 2014).

La partie suisse du groupe a-t-elle des soucis à se faire quant aux déboires de GHM dans l’Hexagone ? Dans un article du Temps (24.7.2010), Jacques Richard, alors administrateur délégué d’ESH, assurait « qu’il n’y a pas de vase communicant avec GHM ». Ce groupe n’a certes aucune activité en Suisse, puisque Hersant y opère à travers ESH. Un certain nombre de procédures en France, encore en cours, lui demandent néanmoins des comptes.

Dénoncées par les syndicats, les méthodes de Hersant en France – qui privilégient des profits à court terme, le pillage de la trésorerie et les plans sociaux au rabais plutôt que des investissements et une stratégie sur le long terme – laissent malheureusement planer quel­ques doutes sur la capacité à ne pas reproduire en Suisse les mêmes méthodes. Pour l’avenir des salariés travaillant dans les titres et la viabilité des imprimeries d’Hersant Suisse, nous espérons nous tromper.

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