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Les médias à l’ère du grand chantier digital

En matière d’innovation technologique, en particulier dans la publicité, mais aussi dans la distribution de contenus, personne n’échappe à l’emprise des leaders globaux du digital. Google, Apple et Facebook & Cie dominent également l’évolution de la branche des médias suisses. Il reste néanmoins une marge pour des solutions indépendantes.

 

Aujourd’hui, il semble que les géants du marché médiatique de l’actuelle et de la dernière génération donnent le ton dans l’art de raconter le monde (le « storytelling »). Les principaux leaders s’appellent Facebook, Walt Disney et Sony. La publicité illustre parfaitement les récentes transformations. Auparavant, elle apportait aux journaux une source financière intarissable. Aujourd’hui, pour accéder à l’arène numérique, les groupes de presse mènent un combat impitoyable, sans lésiner sur les moyens. Mais Google reste imbattable. La moitié des investissements publicitaires sont destinés au colosse médiatique en Californie. Car les groupes de presse se raccrochaient encore au secteur alors rentable des journaux pendant que les futurs géants du marché développaient leur modèle commercial pour des plateformes numériques. Quand les groupes de presse sont enfin passés au Web pour leur publicité, la propagation des smartphones a entraîné la prochaine mutation. Or ici encore, Facebook, Google et Apple ont une longueur d’avance. Ils produisent les appareils (Apple), contrôlent le système d’exploitation (Google) et disposent de la plus grande plateforme au monde (Facebook).

Le monstre à trois têtes domine tout
Dès lors, il n’est pas étonnant que les groupes de presse doivent toujours planifier leurs innovations à la lumière des activités des trois géants. Le monstre à trois têtes domine tout. La publicité, la distribution de contenus, le storytelling – tout est tributaire du cadre établi. Apple, Google, Facebook sont aussi présents dans le débat sur la politique des médias. Ils contribuent à amorcer des développements, du moins indirectement, souvent en réaction à un fait accompli imposé par l’un des trois leaders qui dominent le marché. L’alliance publicitaire annoncée par la SSR, Swisscom et Ringier est elle aussi placée sous le signe de ces réflexions. Les trois entreprises livrent un véritable combat de David contre Goliath : les petits groupes de presse suisses devraient se serrer les coudes pour pouvoir se maintenir au moins sur le marché national face à Google & Cie. Cette façon de voir ne fait toutefois pas l’unanimité. Tamedia, en particulier, s’oppose à cette alliance qui sert selon lui de prétexte à une solidarité entre « perdants ». Par le passé, Tamedia s’est profilé en misant sur des acquisitions et le développement d’un pilier numérique solide, qui n’ont toutefois rien en commun avec l’activité médiatique. Alors que les annonces publicitaires faisaient auparavant directement partie du journal, les affaires sont gérées séparément sur le Web. Avec 20 Minuten et 20min.ch, Tamedia domine la presse écrite, électronique et mobile. Il absorbe ainsi une grande partie du potentiel commercial : aux côtés du leader incontesté 20 Minuten, même Ringier peine avec le Blick am Abend, pourtant bien établi sur le marché des journaux gratuits.

Systèmes de péage
L’abonnement reste un produit de niche dans le domaine numérique. Mis à part la NZZ, qui vend tout de même 12 % de son tirage quotidien sous forme électronique, aucun éditeur ne peut se vanter de tels chiffres. Toutefois, on observe une croissance constante, bien qu’à un faible niveau. Les systèmes de péage (« paywall ») n’y sont pas étrangers : un nombre restreint d’articles est proposé gratuitement, ensuite il faut passer à la caisse pour s’abonner à l’édition en ligne. La SSR, bien que financée par les fonds publics, ne peut pas pour autant se soustraire à la dynamique du marché. Les partisans les plus férus de l’abolition des redevances, les « anti-Billag », considèrent que l’offre médiatique est suffisamment large et diversifiée sur tous les canaux numériques et qu’il n’y a donc plus besoin de programmes de télévision financés par la collectivité. L’attaque contre la publicité vise à empêcher l’expansion de la SSR sur le marché numérique. La croisade est menée principalement par Tamedia et son président Pietro Supino, qui prône une interdiction totale de la publicité sur la SSR.

Aucun droit à l'erreur
Dans ce climat d’incertitude et d’inquiétude, les éditeurs n’ont pas une position facile. Le journalisme et son adaptation au numérique évoluent dans des conditions difficiles. La pression accrue à la production, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept sur plusieurs plateformes et canaux, ne permet guère de tenter des expériences à l’issue incertaine. Il n’y a aucun droit à l’erreur. Tamedia envoie ses cadres et ses journalistes émérites suivre des cours accélérés dans une université new-yorkaise. À la SSR, des postes stratégiques dans le secteur de l’édition numérique sont confiés à de jeunes recrues. Et la formation sert à familiariser les futurs journalistes avec l’internet, la radio et la télévision. Le journalisme numérique va-t-il surpasser le journalisme de presse ? Il dispose en tout cas du plus grand arsenal de moyens pour capter le public : outils multimédia, systèmes immersifs, canaux pluridimensionnels – impossible de faire mieux. Depuis quelques années, un réseau international de journalistes s’intéresse de près aux nouvelles possibilités créatives et en propose aussi. De nouvelles formes de représentation numérique font leur apparition presque chaque jour. Que ce soit en politique, dans le sport, la culture ou le divertissement, le récit se réinvente lui aussi. Des chiffres et tableaux statistiques, qui dormaient jusqu’alors dans les tiroirs des administrations, sont tirés de l’oubli et remis au goût du jour par les journalistes scientifiques grâce à la numérisation.

Comment atteindre le jeune public?
Mais une question se pose : parvient-on à atteindre ainsi le public visé ? Journaux, radio et télévision peinent à attirer un public jeune. Les habitués des canaux traditionnels vieillissent et disparaissent peu à peu, alors que la relève peine à combler ce vide. Les jeunes ne s’attachent plus aux marques traditionnelles. Leur univers médiatique est composé de plateformes numériques comme Facebook, WhatsApp (acquis pour 22 milliards par Facebook en février 2014), Snapchat. Bien sûr, des articles de la NZZ y sont aussi parfois partagés. Mais toujours gratuitement et hors contexte, ce qui ne sert pas véritablement les intérêts de l’éditeur. Actuellement, les marques traditionnelles misent sur des plateformes destinées à des groupes cibles spécifiques. Cellesci s’adressent aux jeunes consommateurs qui sont habitués à utiliser principalement les médias numériques. Mais leur succès est encore incertain. Les perspectives ne sont certainement pas roses, mais pas sombres non plus. La numérisation accélère l’évolution de manière fulgurante, mais la politique dispose également d’une marge de manoeuvre assez grande dans le domaine des médias. Sa tâche essentielle consistera à instaurer un nouveau cadre pour réglementer les médias du service public. Ceux-ci doivent garder un rôle central en tant qu’instrument correctif par rapport aux offres médiatiques strictement guidées par le marché.

Nick Lüthi, journaliste free-lance

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