Luisa Cuesta, figure de la résistance en Uruguay
Le 20 mai dernier a eu lieu à Montevideo, capitale de l’Uruguay, la 20e Marche du silence ( Marcha del Silencio ) en mémoire des disparus uruguayens durant la dernière dictature (1973-1985). Pour la première fois sans Luisa Cuesta. Alexis Patino *
Suite à un coup d’Etat militaire en 1973 – activement soutenu par les Etats-Unis, avec la formation des militaires (interrogatoire et torture) dans la tristement célèbre Ecole des Amériques – l’Urugay a connu, douze ans durant, une terrible dictature.
La Marche du 20 mai est l’occasion de rappeler aux différents gouvernements qui se sont succédé depuis le retour des droits démocratiques que les plus de 200 disparus le sont toujours, et que contrairement à l’Argentine voisine, aucune avancée collective significative n’a été constatée. Seuls deux cas ont été éclaircis.
Mais cette 20e Marche, l’édition 2015, n’en était pas une de plus. En effet, c’était la première sans la participation physique, sur place, de Luisa Cuesta, une des responsables de l’Association des familles de disparus et figure emblématique de la résistance à l’injustice dans ce petit pays d’Amérique du Sud.
En 1973, elle a été incarcérée durement en Uruguay durant plusieurs mois pour ses actions militantes. Mère de Nebio Melo, militant et journaliste disparu en Argentine le 8 février 1976, elle n’a eu de cesse de dénoncer la disparition de son fils à cause des militaires uruguayens agissant en Argentine dans le cadre du plan Condor 1.
En Argentine, puis lors de son exil à Amsterdam, elle a dénoncé la disparition de son fils. Dans des instances internationales, puis lors de son retour en Uruguay, où elle a fortement contribué au regroupement des familles autour de l’Association des disparus, elle fut de tous les débats, manifestations et autres actes solidaires avec les autres familles des autres pays touchés par les dictatures et leurs atrocités
symbole vivant de la lutte
Depuis, elle est le symbole vivant de cette lutte pour la récupération non seulement du corps de son fils mais également, et surtout, de la vérité : où sont-ils, s’ils sont morts, qui les a tués, où, quand et pourquoi ? Et enfin, pour la justice : que les responsables des violations des droits de l’Homme soient jugés et condamnés.
Luisa a aujourd’hui 95 ans. Et, jusqu’à l’année dernière, elle a marché comme des milliers d’Uruguayens sur l’Avenida de 18 de Julio, l’artère principale de la capitale.
Quelques semaines avant le 20 mai 2015, Luisa a eu un accident vasculaire cérébral. Depuis, elle est en convalescence. Les familles, amis et militants, fortement mobilisés autour de cette femme d’un courage extraordinaire, qui a défié tous les présidents qui se sont succédé depuis 1985 ainsi que les menaces et intimidations des militaires, ont manifesté avec des photos à son image afin de démontrer qu’elle était avec eux.
Femme extrêmement populaire à Montevideo, il suffit de se balader avec elle dans la rue pour sentir toute l’affection qu’elle reçoit. Elle a toujours reçu le soutien des syndicats, sensibles à ses combats et à ceux de son fils. Une place d’honneur lui est toujours réservée lors des discours du 1er Mai, ainsi qu’à l’Association des disparus.
Luisa Cuesta a été déclarée citoyenne illustre de Montevideo. Le 7 mars 2014, elle a été distinguée Femme d’honneur uruguayenne par la Poste uruguayenne, qui a sorti pour l’occasion un timbre à son effigie. Pour moi, c’est l’occasion de rendre hommage à la sœur de mon arrière-grand-mère.
* Secrétaire régional en charge de l’industrie graphique
1. L’opération Condor est le nom donné à une campagne d’assassinats et de lutte antiguérilla conduite conjointement par les services secrets du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay au milieu des années 1970, sous l’œil bienveillant des Etats-Unis.