Nouvelles professions, nouveaux jobs?
Ursina Jud Huwiler, cheffe du secteur Analyse du marché du travail et politique sociale au Secrétariat d’État à l’économie (Seco), est convaincue que le travail ne manquera pas dans « l’économie numérique ». Toutefois, de nombreuses professions se transformeront dans la plupart des branches. Peter Krebs
Les robots et les ordinateurs remplacent toujours plus d’activités que nous exerçons. Serons-nous bientôt à court de travail ?
Ursina Jud Huwiler : Je suis convaincue que nous ne manquerons pas de travail. Mais il prendra une forme différente dans certains domaines. Le progrès technique tel que nous le connaissons, avec la numérisation et l’automatisation accrue, n’est pas nouveau en soi. Auparavant, il a aussi été accompagné de bouleversements qui ont fait disparaître des secteurs entiers de l’économie. La peur du chômage et de la fin du travail a existé à chaque révolution technologique. Mais les conséquences pour l’emploi ont finalement toujours été positives.
Cette peur est-elle donc infondée ?
Laissez-moi vous donner un exemple : l’ordinateur personnel a été introduit il y a près de trente ans et les mêmes préoccupations qu’aujourd’hui existaient alors. Depuis, le chômage n’a toutefois pas augmenté en Suisse et l’emploi a même connu une embellie. L’automatisation accrue augmente la productivité et permet aux entreprises de devenir plus compétitives. À cette fin, elles ont besoin de plus de main-d’œuvre qualifiée. Ces dernières années, nous constatons donc une croissance dans les emplois qui exigent un niveau de formation supérieur.
Quelles branches sont particulièrement touchées par l’automatisation et la numérisation ?
La numérisation s’emparera de la plupart des branches. Nous savons par exemple que le nombre d’employé·e·s de bureau et de monteurs a reculé ces quinze dernières années en Suisse. Dans le secteur de la finance, Internet jouera un rôle toujours plus important. Comme le montre une grande banque américaine, où un tiers des employé·e·s sont aujourd’hui des informaticiens. Dans la logistique, des dépôts sont déjà dotés d’un système d’exploitation automatique. Et dans le domaine de la santé, il est imaginable que des robots contribuent à la logistique des soins. Nous vivons dans une société en pleine mutation, mais ne pouvons tirer encore aucun bilan définitif.
Dans la vente, on peut suivre à vue d’œil les changements. Toujours plus de clients utilisent la caisse automatique.
L’automatisation dans les branches dépendra surtout des intérêts économiques et donc aussi des besoins de la clientèle. Dans le passé, quand une tâche standard disparaissait dans le secteur des services, les relations avec la clientèle évoluaient vers des activités de conseil. C’est ce qui s’est produit par exemple avec l’introduction des distributeurs de billets de banque. Ce changement pourra aussi toucher les professions de la vente.
D’après une étude de l’Université d’Oxford, des ordinateurs remplaceront presque la moitié des salarié·e·s aux Etats-Unis dans un avenir proche.
Il est très difficile de donner des chiffres fiables à ce sujet. La disparition de professions et la naissance de nouveaux profils n’ont rien de nouveau. Il y a cent cinquante ans, la majorité de la population travaillait dans l’agriculture. Aujourd’hui, ce secteur n’occupe plus que 3 % des personnes actives. Les profils professionnels se modifieront encore et certains métiers risquent de disparaître. D’après certaines études, les activités les plus touchées seront celles où sont traités de gros volumes de données, qui peuvent facilement être structurés et élaborés en algorithmes. Par exemple, les conseillers fiscaux ou les agents fiduciaires. Ces analyses doivent toutefois être interprétées avec prudence.
On entend déjà parler de véhicules sans chauffeurs qui mettront au chômage des conducteurs de bus ou de taxi.
Techniquement, on en est encore bien loin – même si en Suisse aussi des essais ont eu lieu récemment avec des camions sans conducteurs. Nous ignorons toutefois ce que cette évolution signifiera pour l’économie et la population globale, notamment en termes de nouveaux besoins. De plus, le cadre légal devrait être modifié. Les voitures et camions sans conducteurs ne sont pas autorisés aujourd’hui.
On a l’impression que les transformations sont aujourd’hui plus rapides qu’autrefois.
Ce sentiment vient du fait que les tendances se propagent plus rapidement à l’échelle globale et que la mise en réseau permanente favorise la diffusion immédiate des informations. En outre, le rythme de la communication s’est accéléré, notamment avec la substitution des lettres par les e-mails. Notons que par le passé, les changements étaient aussi perçus par la population comme étant très rapides, par exemple lors de l’introduction des métiers à tisser.
Vous parlez des opportunités de l’automatisation. Où se situent-elles ?
Mis à part les effets positifs sur la productivité qui entraînent un renforcement de la place économique suisse, l’automatisation peut aussi offrir dans certaines circonstances des opportunités pour des branches qui souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre spécialisée. En Australie, il manque du personnel qualifié dans la construction. Là-bas, les murs des maisons sont déjà montés à l’aide de robots.
Où la politique doit-elle intervenir ?
Les exigences posées aux salarié·e·s évoluent. C’est pourquoi la politique de la formation doit suivre cette évolution. Certaines filières de formation sont remplacées, d’autres sont adaptées aux changements. Le perfectionnement reste donc important. L’État doit offrir de bonnes conditions-cadres, mais il appartient aussi aux salarié·e·s d’utiliser les offres à disposition pour faire face à une société en mutation constante.
Qu’en est-il de la responsabilité des entreprises ?
Il est dans leur intérêt de prévoir cette évolution et de prendre des mesures appropriées pour se maintenir sur le marché. Investir dans le savoir-faire du personnel représente une clé importante, qui peut aussi inclure des rationalisations. Car seules des entreprises qui fonctionnent peuvent garantir des emplois durables.
Mathias Reynard exige un rapport sur l’économie numérique
Aujourd’hui, les milieux politiques se penchent aussi sur l’économie numérique. Dans un postulat, le conseiller national PS Mathias Reynard demande au Conseil fédéral de présenter un rapport sur les conséquences de l’automatisation. Le gouvernement doit examiner à cet égard quels domaines professionnels sont particulièrement menacés, comment le marché du travail se transforme, mais aussi quelles possibilités d’évolution résultent de la numérisation.
D’après Mathias Reynard, il s’agit de prendre en considération les conséquences non seulement purement économiques, mais aussi sociales et économiques : « Que ressent un travailleur lorsqu’il contrôle un scannage derrière un écran au lieu de servir directement son client ? Ce dernier n’a pas forcément d’interaction avec lui. Quelle reconnaissance alors pour le travailleur invisible ? », écrit-il dans le développement de son intervention parlementaire.
Il voit dans l’économie numérique un danger possible pour les assurances sociales, car la machine qui produit un service (ou un bien) ne cotise pas et les personnes qui perdent leur emploi risquent de se retrouver à l’assurance chômage et de la solliciter davantage. Dans sa réponse du 28 octobre 2015, le Conseil fédéral s’est déclaré prêt à accepter le postulat et à examiner les questions soulevées, dans le cadre des données disponibles. (pk)