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« Pour les contraintes psychiques, nous n’avons pas de mécanisme d’alerte »

Helmut Krueger, ancien professeur à l’EPFZ, travaille dans la recherche sur l’impact des nouveaux moyens technologiques d’information et de communication au centre de médecine du travail, d’ergonomie et d’hygiène. Il explique à syndicom quels sont les risques liés aux nouvelles technologies.

 

syndicom : vos recherches visent à évaluer les risques des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la santé. Quels dangers avez-vous découvert ?

Helmut Krueger : les professions qui misent sur les nouvelles technologies induisent bien sûr des exigences qui sont davantage d’ordre psychique que physique. Par conséquent, les maladies qui en découlent n’appa­rais­sent qu’après des années. Ce sont souvent des jeunes qui sont occupés dans ces secteurs d’acti­vi­té et qui travaillent en permanence à la limite de leurs capacités, à 100 % voire plus. Ils supportent ce rythme pendant plusieurs années sans difficulté. Les conséquences ne se manifestent que des années plus tard. Contrairement au surmenage physique, les contraintes sur le psychisme ne déclenchent aucun mécanisme d’alerte qui signale immédiatement quand il faut s’arrêter. Les personnes concernées n’ont donc pas de mesure pour se rendre compte quand elles devraient s’accorder une pause.

La surcharge de travail et le stress, aggravés dans certains cas par un mauvais climat de travail ou parfois même du harcèlement, conduisent au burn-out. Surtout chez les personnes d’un certain âge, qui ne parviennent plus à abattre le même travail qu’un jeune.

Il faut également ajouter que nous sommes dotés d’une mémoire psychique qui accroît notre vulnérabilité. Ainsi, une personne ayant souffert d’un burn­-out, par exemple, sera fragilisée et risque de souffrir ensuite d’autres troubles psychiques. Pour la plupart des gens, il n’est pas possible d’effacer cette épreuve, de l’oublier.

Dans les centres de contact, par exemple, il n’y a pas de travail corporel lourd. Ce nouvel univers de travail est-il pour autant idéal ?

Au contraire, dans les centres de contact la pression de la cadence peut devenir considérable. Chaque appel est mesurable et permet donc un contrôle permanent. On peut ainsi édicter des directives, limitant par exemple strictement les entretiens avec les clients à vingt secondes. Sous la pression de la concurrence étrangère, on veille ainsi à garder les coûts du travail à un niveau relativement bas. Les agent·e·s des centres de contact n’ont donc pas le loisir d’échanger quelques mots avec le client qui ne soient pas de nature purement professionnelle. S’ils passent outre, ils encourent souvent des remontrances, un facteur de stress supplémentaire qui s’ajoute à celui de la cadence. De courts échanges informels suffiraient pourtant à pouvoir se détendre un peu. Mais c’est incompatible avec les limites de temps imposées. La liberté que devrait apporter la technologie de la communication risque ainsi de disparaître sous la pression économique.

Dans des branches toujours plus nombreuses, ordinateurs, Internet et portables permettent de travailler aussi à domicile. C’est ce que l’on désigne par « télétravail ». Que pensez-vous de cette évolution ?

Ce qui est certainement positif à cet égard c’est de pouvoir répartir soi-même son temps de travail. On peut ainsi exercer son métier dans le cadre familial, comme autrefois.

Malheureusement, les aspects négatifs du télétravail risquent de l’emporter. Le télétravail implique généralement de passer du travail régi par un horaire à une prestation à fournir : on ne peut plus se contenter d’accomplir ses huit heures de travail, il faut finaliser un projet.On passe ainsi rapidement la rampe des douze heures de travail. Celui qui donne le travail ne sait souvent plus combien
de temps nécessite la tâche confiée. Il exigera davantage, attendra plus de performances. C’est la dynamique inhérente à ces systèmes. La travailleuse ou le travailleur commence alors à s’auto-exploiter, d’autant plus qu’il ignore comment travaillent ses collègues.

La théorie suivant laquelle cette forme de travail aurait de réels avantages pour les femmes et les mères est trompeuse. S’occu­per en même temps d’un enfant malade ou d’une personne âgée, pour ainsi dire accessoirement, est impossible. Ces tâches, qui ne peuvent guère s’accomplir parallèlement au télétravail, exigent des capacités énormes. Par ailleurs, comme il ne dispose plus du réseau social présent dans un environnement de travail traditionnel, le risque d’isolation de l’individu est grand. Il devrait donc se créer des réseaux sociaux en dehors de la sphère professionnelle, ce qui peut s’avérer difficile en cas de stress psychique. Lorsque l’on s’habitue à faire cavalier seul, l’entraide et la volonté d’engagement dans des groupes s’estompent. Cet état de fait touche aussi les syndicats.

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