Pourquoi je ne crois pas que le e-book soit une révolution
Ma maison d’édition ne produit pas de e-book. Outre le fait que j’aime la douceur des pages et le grain des couvertures, j’ai réfléchi à la nécessité de ce support dans mon projet. Et après de nombreuses propositions de « passer au numérique », il m’a semblé que l’empressement de l’industrie à nous vendre le livre numérique devait cacher un calcul. La précipitation à donner des chiffres, à prétendre que les ventes de Noël de livres numériques avaient dépassé, aux Etats-Unis, les ventes de livre papier, reflétait-elle la réalité ? Est-ce que vraiment le e-book serait la solution pour le texte, les auteurs seraient-ils enfin justement rémunérés, la culture mondiale serait-elle enfin en libre accès dans l’absolue gratuité et le rêve de la bibliothèque de Babel, à portée de main, dans la poche ? Des sommes, très importantes pour le monde de l’édition, ont été mises à disposition par les Etats pour numériser les catalogues. Le coût des numérisations demeure important, surtout qu’il met les éditeurs à la merci de l’informatique.
Cet engouement pour le e-book finit par mettre la puce à l’oreille, et la réalité (l’article ci-contre le dit bien) paraît bien peu refléter les ambitions affichées : 1 % du marché en Suisse, 20 % aux USA, et Publisher Weekly qui annonce, début 2014, que la croissance s’est drastiquement ralentie en 2013. Il est vrai que le blockbuster érotico-eau de rose Fifty Shades of Grey est épuisé !
La promesse de la révolution numérique, c’est une liberté décuplée grâce aux e-books : fini le poids des volumes, fini les éditeurs qui censurent, fini les droits d’auteurs grignotés par des intermédiaires, fini les bibliothèques peu fréquentées… Pourtant usages et réalités déçoivent, la révolution n’aurait-elle pas lieu ?
Vous étiez libre d’acheter La Chartreuse de Parme ou le Manifeste du parti communiste de manière anonyme dans une librairie ; sur Amazon, vous voilà identifié, enregistré, algorithmé et, en sus, vous signez des clauses quant à l’usage que vous allez faire du texte. Aujourd’hui encore, mon exemplaire des Fleurs du Mal m’appartient, libre à moi de le prêter à qui je veux. La version électronique, par contre, ne me permet que cinq « prêts » et encore, entre usagers d’une même plate-forme. En 2009, Amazon a effacé des tablettes 1984 de George Orwell. Cet autodafé se reproduira avec d’autres titres, car c’est d’une déconcertante facilité. Le livre électronique empêcherait la déforestation ? Peut-être, mais c’est sûr qu’il n’empêche ni le réchauffement climatique, ni l’exploitation de mines de métaux précieux nécessaires à la fabrication des tablettes.
Pour l’achat d’un livre électronique, bien que collectivisé par des plateformes (voir ci-contre), les clients continuent d’utiliser les conseils des libraires, en librairie. Les titres qui se vendent suivent également les mêmes courbes que les livres papier. Finalement le e-book est un support de plus que les éditeurs, comme les libraires, ajoutent à leur diversification. Pour les lecteurs, la tablette finit par s’ajouter à la pile à côté de notre lit. Je ne produirai pas de e-book avant longtemps !
Valérie Solano, directrice des Editions des Sauvages.
www.editionsdessauvages.ch
le VIRAGE NUMéRIQUE DE LA RECHERCHE
Dès le 1er juillet, le Fonds national suisse (FNS) entend subventionner uniquement les livres diffusés en version électronique. Au grand dam des éditeurs et de certains chercheurs. En particulier en sciences sociales. Une pétition lancée en ligne a déjà dépassé les 4000 signatures. Pour les éditeurs, « la fascination pour l’open access, pour le tout gratuit, s’accompagne d’une précipitation incompréhensible à le mettre en œuvre. A l’heure actuelle, trouver des textes en open access est une gageure, et cela risque de durer ». Affaire à suivre. (YS)