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Produire du bon journalisme

Dans sa rubrique « Italique », Helen Brügger porte un regard en coin sur la vie des médias, avec un peu d’imagination, à partir d’une vraie info.

 

LA MINE SOMBRE, le président de la commission des médias observe l’assemblée. Il faut dire que lui et ses collègues de commission se sont mis en tête d’élaborer un concept approprié à la situation actuelle pour promouvoir les médias dans notre pays. Ils entendent lancer un signal fort : récompenser les prestations journalistiques de service public fournies par les médias imprimés, encourager la qualité, limiter le commerce. Objectif du projet : ceux qui produisent du bon journalisme contribuant à former des citoyens éclairés et responsables doivent obtenir des subventions d’encouragement. La commission est unanime à ce propos.

MAIS LE PRÉSIDENT SE DOUTE DÉJÀ que le rapport de la commission, à peine publié, sera mis en pièces. Il en est bien conscient : les éditeurs veulent obtenir de l’argent sans avoir à justifier leurs prestations. Ils sont terrorisés à l’idée qu’ils pourraient devoir un jour se justifier d’avoir étalé quelques malencontreux selfies en un véritable déballage national.

C’EST ALORS QU’UNE IDÉE lui vient. Une solution machiavélique. « Faisons donc deux propositions : la formation d’une fondation, d’une part, et, d’autre part, une seconde proposition assez insensée pour que tous la rejettent ! » se dit-il. « Alors ils n’auront pas d’autre choix que d’approuver au moins la fondation. » Il propose donc d’allouer des subventions fédérales à l’agence nationale suisse d’information pour qu’elle cède ses articles à un prix réduit, afin que les éditeurs investissent l’argent ainsi économisé dans des prestations journalistiques. « Aucun éditeur ne s’y pliera volontairement », souffle-t-il à sa voisine. « Il faudrait donc instaurer un contrôle pour vérifier si les exigences sont remplies, ce qui serait pire encore que d’accepter la promotion de leurs projets par une fondation. »

OR, CONTRE TOUTE ATTENTE, voilà que la conseillère fédérale concernée applaudit, enthousiaste, à cette idée. La joie des éditeurs de journaux gratuits et des groupes de presse n’en est pas moins grande : ils pourront ainsi remplir leurs pages de dépêches d’agence gratuites – d’autant que ladite agence d’information appartient aux éditeurs. Bien des journalistes, qui ne devraient pourtant pas être dupes de la situation, se prennent eux-mêmes à rêver de nuées de journalistes fraîchement embauchés, affairés à écrire des articles d’investigation passionnants. Et les voilà qui reprennent à l’unisson : « Formidable ! Les rédactions auront ainsi de quoi financer leurs prestations ! »

DEVANT UN TEL MALENTENDU, le président s’arrache les cheveux. « Nous avons besoin d’une fondation si nous voulons sauver notre démocratie ! » clame-t-il avec la dernière énergie. Mais personne n’y prête attention, car on s’apprête justement à élire encore un brave soldat du parti suisse des renégats à l’association sacro-sainte des éditeurs *. Et le président le sait : l’heure du dernier round a sonné dans la bataille entre médias indépendants et suppôts du parti, qui mitonnent leur tambouille avec l’appui des médias, rêvant de transformer le pays en une « Confédération SA ».

P.-S. Dans son rapport, la commission fédérale des médias COFEM propose de remplacer l’aide indirecte aux médias via les rabais sur les tarifs postaux par une aide directe à la presse pour les prestations journalistiques qui contribuent de manière essentielle au débat démocratique, via une fondation. Comme mesure à court terme, elle propose de subventionner l’ATS, afin de permettre aux rédactions d’investir les sommes ainsi économisées dans leur propre travail d’investigation.

* Biographe et homme de confiance de Blocher, éditeur et rédacteur en chef de la Basler Zeitung, Markus Sommer est, depuis le 11 septembre, le nouveau président de Schweizer Medien, association faîtière des éditeurs alémaniques, ndlr.

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