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Réglementation du prix du livre: Livres «à prix cassé» – la facture serait salée

La réglementation du prix du livre est un enjeu important. Voire existentiel à long terme, pour les petites librairies indépendantes. En voici un exemple.

 

La devanture de la librairie Hirschmatt à Lucerne invite déjà à entrer. Et à l’intérieur, on s’empresse de bouquiner – à tous les niveaux, des livres sur tous les thèmes attisent la curiosité. Les amateurs de voyages en particulier seront comblés : les petites librairies (même si Hirschmatt est la plus grande librairie indépendante de l’agglomération lucernoise) font bien d’exploiter de tels créneaux. Une autre « spécialité » est annoncée dès la vitrine, où on lit : hirschmatt.ch – les commandes se font naturellement en ligne aussi.

Rien ne remplace toutefois une visite sur place. Dans ce bel édifice du 19e siècle, on a affaire à des personnes qui aiment les livres, les comprennent et sont d’excellent conseil. Pour que cela reste le cas, et donc qu’une librairie comme Hirschmatt continue d’offrir le même accueil personnalisé avec ses dix employés, il faut un système de prix unique. Or le référendum contre la loi sur la réglementation du prix du livre adoptée en mars (voir syndicom Nos 6 et 12) a abouti. Sur 56 000 signatures, seules 2000 émanaient de Suisse romande. Migros en particulier a massivement soutenu la collecte de signatures dans ses enseignes Ex Libris. Les citoyens auront donc le dernier mot.

Andreas Wolfisberg, chef du magasin Hirschmatt et Jörg Duss, gérant, ne manquent pas d’arguments pour défendre cette loi. « Il faut nuancer », répondent-ils aux adversaires du prix unique selon qui un tel régime renchérirait massivement les ouvrages. Les expériences réalisées à l’étranger (la plupart des pays européens connaissent le prix fixe) et en Suisse aussi prouvent le contraire. Or sans prix fixe, « nous ne serons pas de taille à résister au commerce en ligne », prévient Wolfisberg. Avant de préciser que même de grandes librairies sont favorables à la nouvelle loi.

Beaucoup d’emplois en jeu

Les personnes achetant leurs livres à la librairie ont tout à y gagner, « les choses sont plus claires et il n’est plus nécessaire de comparer les prix », complète Duss. Cela vaut notamment pour la littérature professionnelle et technique. Ce n’est pas anodin pour un pays où, comme en Suisse, la formation constitue la principale « matière première ». Or même une petite librairie a besoin de vendre des best-sellers – sans quoi les autres livres coûteraient plus cher.

La facture à payer pour pouvoir se procurer « à prix cassé » des best-sellers serait bien trop salée : car sans prix fixe, de nombreuses librairies ayant pignon sur rue disparaîtraient – et du même coup leur vaste offre, les conseils compétents et beaucoup de places d’apprentissage. Au total, 600 à 1000 emplois sont menacés. Un argument de poids pour le syndicat et dans l’optique du marché du travail.

Une telle évolution serait regrettable à un autre égard : comme les offices postaux – eux aussi « menacés » –, les librairies telles que Hirschmatt ont une fonction sociale : « Souvent nos clients lient conversation entre eux », explique Wolfisberg. Or Internet ne peut remplacer de tels échanges. A l’instar des offices postaux, il est important que l’offre de librairies soit « suffisante sur la majeure partie du territoire », souligne Duss. Il pense bien sûr à une offre allant au-delà des best-sellers. « Chez nous, on peut feuilleter toutes sortes de livres, chercher l’inspiration, échanger un livre le cas échéant, voire rencontrer des auteurs lors de lectures publiques… »

Fonction sociale des librairies


Tous deux sont d’avis que la loi sur la réglementation du prix du livre doit aussi s’appliquer à la vente en ligne – et que c’est parfaitement faisable. Les craintes de « formation d’un cartel » sont infondées, sachant que les éditeurs fixent leurs prix de manière quasiment verticale. Les livres coûtent sans doute moins cher à l’étranger – mais le prix du livre se compose de nombreux facteurs « et le pouvoir d’achat est nettement plus élevé en Suisse », souligne Wolfisberg. Et d’ailleurs, « la lecture demeure un des loisirs les moins coûteux ».

Il n’y a donc pas grand-chose à perdre. Et beaucoup à gagner – p. ex. en qualité de vie. En retournant à la gare, je passe devant une boutique Ex Libris. Mais je ne suis guère tentée. En comparaison de la librairie Hirschmatt, l’« expérience d’achat » s’y apparente davantage aux courses dans un supermarché éclairé aux néons qu’à la visite d’un pittoresque marché en plein air. Et puis je porte déjà suffisamment de « trésors » : cinq livres, un calendrier – et le souvenir des bons moments passés entre les rayons de livres et sur la terrasse ensoleillée de la librairie Hirschmatt. Sans parler de l’amabilité des personnes rencontrées. Quel dommage si cela disparaissait.

 

Gabriele Brodrecht, rédactrice centrale

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