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Trois ex-grévistes partagent leurs expériences

TÉMOIGNAGES ∙ Le samedi 15 février, à Neuchâtel, des grévistes licenciés ces derniers mois en Suisse ont parlé de la violence émotionnelle subie tout au long de leur difficile combat.

 

Faire la grève n’est pas une partie de plaisir. C’est même une expérience d’une violence émotionnelle inouïe dont on ne ressort pas indemne et qui bouleverse une vie pour longtemps. C’est en bref ce qui ressort de la conférence organisée par les grévistes eux-mêmes, avec le soutien de l’Asso­ciation pour un centre autogéré (ACAP), pour faire le point sur ce qu’impli­que le choix de cette forme de revendication radicale.

Trois ex-grévistes licenciés ont témoigné de leur expérience dans des contextes très différents : l’hôpital de la Providence à Neuchâtel, l’entreprise de catering Gate Gourmet à l’aéroport de Genève et la station-service Spar à Dättwil (Argovie). Avec un point commun entre ces mobilisations : l’inflexibilité de l’employeur­, qui combat la grève par tous les moyens et finit par licencier tout ou partie des grévistes. Les conflits de la Providence et de Gate Gourmet ont par ailleurs été marqués par le rôle ambigu des politiques et le manque de solidarité de la part des travailleurs non grévistes, majoritaires.

Tempête dévastatrice

« Je suis une personne engagée et militante. La vie a été plutôt douce avec moi […] jusqu’au moment où la tempête s’est levée dans ma vie et a tout emporté sur son passage : mon emploi, mon innocence, mes illusions, et a ébranlé mes convictions », témoigne Muriel [prénom fictif], ancienne infirmière et gréviste licenciée de l’hôpi­tal de la Providence. Pour elle, pouvoir dire non a nécessité de « traverser le lac de la peur » et a été « le premier pas sur un chemin de larmes, d’humiliations, de trahisons ». « Mais cela a aussi révélé ma capacité de résistance, mes limites et les sacrifices que j’étais prête à accepter pour défendre mes convictions », note-t-elle.

Elle dénonce les méthodes de la direction. La première semaine, les grévistes reçoivent une lettre de menace de licenciement immédiat pour abandon de poste. La direction poste des agents de sécurité dans la cour de l’hôpital pour les impressionner et les empêcher d’avoir des contacts avec les non-grévistes.[…] Lorsqu’après deux mois de grève, la direction licencie les grévistes avec effet immédiat, ceux-ci en sont informés par les médias. Enfin, « pour bien marquer leur mépris et nous empêcher au maximum de nous relever », la direction leur fournit un certificat dans lequel figure leur licenciement pour fait de grève.

Manque de solidarité

Autres regrets de l’ex-gréviste face à « la peur, l’égoïsme, l’ignorance, la lâcheté ou l’indifférence » d’une partie du personnel. Après un premier jour de débrayage réussi en septembre 2012, une majorité renonce, sous la pression de la direction, à faire grève dès novembre. Et de relever quelques justifications entendues : « Je ne peux pas faire grève, j’ai une maison, des enfants en études, des crédits. Toi, tu n’as rien à perdre. » « Je suis de tout cœur avec toi, mais je n’ai pas ton courage. » « Si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à aller travailler ailleurs et nous laisser tranquilles. » « Vive le salaire au mérite car je suis méritante ! »

Les médias, qui ont plutôt pris parti contre les grévistes, sont également épinglés : « Ils ont montré un manque flagrant de recul, de hauteur d’analyse et de neutralité. Ceci nous a gravement porté préjudice », dénonce Muriel […]. « Pour tenter de contrebalancer cette désinformation, nous n’avons eu de cesse d’aller à la rencontre de la population pour lui expliquer les conséquences, notamment sur la qualité de la prise en charge des patients, de l’arrivée à Neuchâtel d’un groupe financier tel que Genolier. » […]

Syndicats épinglés

Les syndicats n’échappent pas à la critique. Pour la première fois, la question des divergences avec les grévistes ayant mené à la rupture est évoquée publiquement : « S’ils sont indispensables pour mener un tel combat, ils ne doivent pas se substituer aux grévistes dans les processus décisionnels les concernant directement », avertit l’infirmière. Selon elle, le mot « échec » est tabou pour les syndicats : « Ils sont prêts à n’importe quelle concession pourvu qu’ils puissent donner l’illusion d’avoir gagné quelque chose. » Et de questionner : comment éviter de répéter les mêmes erreurs si on refuse de les admettre et de les analyser ? « Au moment où nous avons divergé dans nos façons d’envisager la fin de notre lutte, les syndicats ont provoqué la rupture sans nous donner d’explication », déplore-t-elle.

Mais Muriel ne regrette rien : « S’il faut choisir entre être une lâche ou une condamnée, je préfère être la condamnée. ».

chez Spar : Onze jours de grève, 14 licenciés, zéro amélioration

Si la grève menée par les salarié·e·s de Spar à Dättwil, en Argovie, n’a duré que onze jours, elle n’en a pas moins été violente, puisqu’elle s’est achevée le 13 juin 2013 par un échec des négociations et le licenciement des quatorze grévistes y ayant pris part. Comme à la Providence et à Gate Gourmet, l’employeur s’est montré inflexible, quand bien même, dans ce cas, l’accès à la station-service était bloqué par les grévistes.

« Nous avons tous pleuré et nous sommes demandés si cette grève avait servi à quelque chose. Aurait-il mieux valu se taire ? » s’interroge Svijetlana Ivcetic, ancienne vendeuse et gréviste licenciée de Spar, devenue secrétaire syndicale. « Non, répond-elle, car c’est important de lutter, même si parfois nous sommes punis par un licenciement. Nous avons réalisé la plus longue grève de Suisse dans le commerce de détail. Et de nombreuses personnes, à qui on a ouvert les yeux sur les conditions de travail chez Spar, nous ont soutenus. »

Elle raconte la galère qu’elle a vécue chez Spar, ouvert 365 jours par an. En cause : un manque chronique de personnel. « Les journées étaient un enfer, tant il y avait de travail. En tant que cheffe d’équipe, je gagnais moins de 4000 fr. par mois. Cela ne pouvait plus durer. » Décision est prise de contacter Unia. Trois revendications : davantage de personnel, des salaires plus élevés et amélioration des infrastructures (par exemple la climatisation). La direction refuse tout.

La grève débute le lundi 3 juin 2013. Le shop est fermé. « On a expliqué aux clients pourquoi on faisait la grève. Beaucoup nous ont soutenus. Les médias étaient présents. D’autres collègues nous ont rejoints », se souvient Svijetlana Ivcetic.

Le jour suivant, le groupe Spar annonce son intention de casser la grève. Unia mobilise une centaine de personnes pour bloquer l’entrée. Une soixantaine de chefs de service, cadres et employés sont déplacés par Spar, mais ils rebrous­sent chemin.

Le dimanche, une fête de soutien aux grévistes est organisée sur place : 300 per­sonnes y prennent part. Mais Spar ne cède pas. Le 9e jour, l’employeur ne participe pas aux négociations. Et le lendemain, il refuse toutes les propositions des grévistes. Le surlendemain, tous sont licenciés. Puis le tribunal de Baden décrète la grève illégale et le blocage du magasin est levé. Mais le combat se pour­suit devant la justice. Unia a porté plainte contre les licenciements.

(CGM)

gate gourmet, aéroport de GENèVE : Les grèves se suivent et se ressemblent

Rien ne ressemble plus à une grève qu’une autre grève. C’est en tout cas l’avis de Dominique, ancien travailleur de Gate Gourmet à l’aéroport de Genève et gréviste licencié, pour qui les récits de ses « homologues » de la Providence et de Spar ressemblent à s’y méprendre au sien. « Nous avons vécu les mêmes pressions de la direction, le même abandon des politiques, les mêmes craintes et lâchetés des autres employés, ainsi que des licenciements », constate-t-il.

A une différence près : le combat chez Gate Gourmet se poursuit. […] Les actionnaires visent 14 % de marge. « Pour atteindre cet objectif délirant, une seule solution : virer la CCT, licencier le personnel et le réengager moins cher », explique Dominique. Une fois la CCT dénoncée pour fin 2013, un bras de fer s’engage entre direction et syndicats. Après l’échec de la conciliation, la grève débute le 14 septembre avec 24 travailleurs sur 122. […] Depuis, les politiques nous ont lâchés. Pour la direction, comme nous n’avons pas réussi à élargir la mobilisation, c’est fini. Il ne reste que 14 grévistes et un groupe de soutien. « Il y a un moment où il faudra arrêter le mouvement », conclut le gréviste licencié. (CGM)

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