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Les banques, ces lieux parallèles de pouvoir

« Quand les banquiers font la loi » retrace la genèse de l’autorégulation bancaire en Suisse, de la Première Guerre mondiale aux années 50. Yves Sancey, son auteur et rédacteur de « syndicom, le journal », s’est penché sur le rôle des banques et notamment sur les rapports de force entre ces dernières, l’État et la Banque nationale suisse.

 

La place financière suisse pèse lourd, aussi bien dans notre propre pays qu’à l’international. Elle attire des milliards de capitaux du monde entier. Pourquoi séduit-elle autant ?

Le secret bancaire, qui sera bientôt de l’histoire ancienne, mais également l’autorégulation des banques, qui garde l’État à l’écart. Concrètement, pendant longtemps, ce sont les banques qui ont édicté leurs propres lois, en lien avec la Banque nationale suisse (BNS), sans s’encombrer de l’avis du gouvernement et du parlement.

Yves Sancey, docteur en sciences politiques et rédacteur romand du journal de syndicom, s’est intéressé à ce groupe d’intérêts extrêmement puissant que sont les banquiers et aux relations entretenues avec le pouvoir. Dans son ouvrage Quand les banquiers font la loi , il revient sur les débuts de l’autorégulation bancaire en Suisse dans les années 1920, inspirée du système anglais, et sur son ancrage pour devenir la norme après 1945.

Alors qu’on chantait encore les louanges de ce système quelques mois avant la crise financière de 2008, il est évident que celui-ci a montré ses limites. Pourtant, mis à part une loi sur les banques très peu contraignante, il a encore de beaux jours devant lui. Jusqu’à quand ?

Pourquoi parler de cette période précise, de 1914 aux années 50 ?

Yves Sancey : L’idée était de retracer la genèse de l’autorégulation bancaire à travers les gentle­men’s agreements. Je reviens sur ses premiers pas, les batailles entre les banques qui divergent d’avis dans les années 20-30 puis sur le développement et la consolidation de ce système qui deviendra routinier dans les années 50.

Comment le modèle de l’autorégulation s’est-il imposé en Suisse ?

Après la Première Guerre mondiale, la place financière suisse décolle. Elle reçoit des flux de capitaux énormes qui ont un impact immédiat sur les taux d’intérêt et donc sur la paysannerie et le monde ouvrier. Ces milieux se mobilisent et demandent le contrôle de l’exportation du capital. C’est à ce moment-là que les banques mettent en place, avec la BNS, l’autorégulation pour se défaire des pressions politiques.

Vous parlez du secteur bancaire comme d’un espace para-étatique qui fait la loi en lieu et place de l’État…

Historiquement, l’État suisse a toujours été très faible. Les groupes d’intérêts qui se développent en parallèle sont quant à eux très puissants. Afin que l’État ne s’immisce pas dans leurs affaires, les banquiers s’organisent à travers l’Association suisse des banquiers (ASB) en 1913. Tout de suite très influente, l’ASB obtient que l’État s’aplatisse et renonce à toute législation bancaire en 1917 ou s’engage le moins possible quand une législation devient inévitable, en 1934.

Identifiant les intérêts de la place financière à ceux de la Suisse, l’État renonce à se mêler des affaires bancaires pour ne pas effrayer les grandes fortunes étrangères.

Qu’est-ce que les gentlemen’s agreements ?

Ce sont des conventions, inspirées du système anglais, entre les banques et la BNS, orales ou écrites. Après des années de négociation, les banques acceptent de s’engager sur l’honneur à informer davantage la BNS sur l’exportation du capital et à tenir compte d’éventuelles objections, puis à freiner l’afflux de capitaux instables ( hot money ). Dépourvus d’obligation juridique contraignante, ces accords reposent au final sur la bonne volonté des banques. C’est à travers ces gentle­men’s agreements qui rythment toute la période étudiée que l’on saisit la nature des rapports de force entre les trois acteurs.

Est-ce que les choses ont changé depuis 2008 en matière de contrôle bancaire ?

La crise a beaucoup occupé le législateur entre 2010 et 2012. Cela dit, les mesures mises sur pied, à part le doublement des fonds propres, restent très faibles. Aujourd’hui, la loi sur les banques est très peu contraignante. Au final, assez peu de leçons ont été tirées. Après plus d’un siècle de mythe d’autorégulation, et ses limites clairement exposées au moment de la crise, il semble que le système a encore de beaux jours devant lui. Je crains qu’il faille une autre catastrophe pour que l’autorégulation soit remise en cause.

Quand les banquiers font la loi,
Yves Sancey, Éd. Antipodes, août 2015, 460 pages.

Présentations, discussions, dédicaces

  • Mercredi 11 novembre à 18 h à la Librairie du Boulevard, rue de Carouge 34 à Genève. Discussion avec Yves Sancey et Marc Chesney, auteur de De la Grande Guerre à la crise permanente (PPUR, 2015). Modération Benito Perez ( Le Courrier ).
  • Jeudi 12 novembre à 19 h 30 à l’A-t-e-l-i-e-r, av. de France 39 à Lausanne. Discussion avec Yves Sancey et Olivier Longchamp, auteur de La politique financière fédérale.

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