Seule l’union des forces entre syndicats réduira les abus des multinationales
«Jusqu’à quel point les travailleurs doivent-ils être flexibles? La flexibilité que les employeurs exigent de leurs employés les met durablement sous pression et a des effets sur leur santé. L’OCDE et même certains économistes de droite reconnaissent des abus et trop d’inégalités parmi les travailleurs. La digitalisation doit changer cela. »
UNI Global Union est une fédération syndicale internationale qui regroupe quatre anciennes fédérations syndicales : l’IC (Internationale des Communications, ancienne internationale des PTT) ; l’International Graphic Fédération ; la Media Entertainment International et la Fédération Internationale des Employés, Techniciens et Cadres. Elle compte quelque 20 millions d’adhérents et près de 700 organisations dans quelque 150 pays, parmi lesquels les membres de syndicom. « Ce n’est qu’un début », ajoute Christy Hoffman, sa nouvelle secrétaire générale, puisque près de 90 % des nouveaux emplois devraient concerner ces secteurs dans les dix prochaines années.
Coordonner et grouper les actions
Dans un monde globalisé et dominé par les multinationales, seule l’action concertée des travailleurs de plusieurs pays et de plusieurs syndicats peut contraindre à la négociation des acteurs mondiaux comme Amazon, le géant des centres d’appel Teleperformance ou les fabricants d’habits bon marché H&M et Zara. Basée à Nyon car traditionnellement très liée au Bureau international du Travail (BIT), le rôle d’UNI Global Union est de coordonner les différentes actions syndicales touchant une même multinationale. «
Citons l’exemple du géant du commerce en ligne Amazon, qui a connu mi-juillet des grèves simultanées en Allemagne et en Espagne pour protester contre leurs conditions de travail, exiger une amélioration salariale et une CCT. » Des bugs informatiques empêchant les commandes ont accompagné ces actions. En Italie, Amazon a signé fin 2017 un accord prévoyant le versement de 100 millions d’euros, pour solde de tout compte, après une enquête pour fraude fiscale. « Mais c’est partout que ses opérations d’optimisation fiscale posent problème, à commencer per les Etats- Unis. Le rôle d’UNI Global Union est de grouper ces actions afin d’augmenter leur impact », explique Christy Hoffman.
D’autres géants, comme celui des centres d’appel Teleperformance, également actif en Suisse, sont montrés du doigt pour leurs bas salaires : « Nous groupons les syndicats pour décider d’une stratégie à cet égard. En Suisse, la déclaration de portée générale de la CCT des centres d’appels est un très bon exemple de bonne pratique à suivre dans d’autres pays. Cela exige un travail politique auprès des gouvernements nationaux et de l’OCDE .»
Sombre période pour les travailleurs
Et ceci, au moment où le rapport de l’International Trade Union Confederation dresse une sombre image de la situation des travailleurs dans le monde : entre 2014 et 2018, la suppression de la liberté d’association syndicale a augmenté de 15 %, touchant désormais 92 pays, et la violation des CCT concerne désormais 115 pays (+ 32 %). « Nous sommes dans une période très sombre pour le travail en général, les inégalités sont très élevées. Cela fait au moins cinq ans que ces chiffres ne sont pas bons. Les mo- dèles commerciaux adoptés par les entreprises les plus riches et puissantes, qui s’appuient sur des conditions de travail les plus médiocres (plus de 90 % des travailleurs de la chaîne d’approvisionnement mondiale ont des bas salaires, précaires et dépourvus de sécurité, alors que plus de 70 % n’ont pas de protection sociale adéquate) ont créé trop d’inégalités, l’OCDE elle-même le reconnaît. Même des économistes de droite commencent à exiger que la digitalisation soit l’occasion d’une amélioration de la situation », ajoute-t-elle.
Recruter différemment
Elle se défend avec vigueur contre l’idée que les syndicats ont fait leur temps : « Les grandes entreprises prétendent que les syndicats sont des instruments du passé. Mais nos sondages indiquent le contraire : dans le monde entier, les travailleurs aimeraient pouvoir s’organiser aussi facilement qu’en Suisse, mais se heurtent à l’hostilité du gouvernement et des employeurs. Je pense qu’il faut modifier notre façon de travailler en recrutant à l’aide d’applications qui simplifieraient les formalités pour les jeunes générations, en étant présent sur les médias sociaux et les plateformes informatiques. »
Il existe en outre encore dans le monde des déserts syndicaux, comme une bonne partie de l’Afrique : « Il est impossible de payer une cotisation syndicale si l’on n’a pas de quoi manger. Mais dans le secteur postal, avec DHL, nous avons une présence syndicale dans neuf pays d’Afrique, et nous avons également un accord au niveau mondial qui concerne la Suisse. »
Peu d’accords concernent la Suisse
Si UNI Global Union a signé plus de 50 accords internationaux globaux couvrant plus de 10 millions de travailleurs à travers le monde, peu concernent la Suisse. « UNI a peu d’accords avec des multinationales qui sont présentes en Suisse, à part quelques-unes comme ISS et DHL. En général, il y a ici une volonté de faire ‹ helvétiquement › les choses qui nous freine. Même des entreprises comme Migros et Coop n’ont pas signé l’accord sur la sécurité des bâtiments qui abritent des ateliers textiles au Bangladesh. »
Cet accord fait la fierté de Christy Hoffman qui l’a initié, à la suite de la catastrophe industrielle qui avait fait plus d’un millier de morts en 2013 : « Il compte désormais plus de 200 signataires (Zara et H&M ont été parmi les premiers) et couvre plus de 2 millions de travailleurs. Nous l’avons fait respecter en soumettant, dans deux cas, des conflits à l’arbitrage. Cela été un avertissement pour ceux qui avaient encore de mauvaises pratiques. » Un second accord, depuis juin dernier, continue le processus d’inspections et remet l’accent sur la liberté d’association, « un domaine dans lequel le gouvernement ne souhaite pas que nous ayons trop d’influence. C’est un accord de transition couvrant 2000 fabriques des plus modernes (les autres ont fermé), car nous sommes encore en train de négocier la poursuite de notre action. »
Un modèle à reproduire
Ce modèle novateur pourrait être reproduit dans des pays comme le Pakistan dans le secteur vêtement. UNI Global Union aimerait aussi qu’Ikea signe aussi un accord textile au Bangladesh. D’autres domaines, comme la vente de chaussures ou de matériel électronique, pourraient aussi s’y prêter, bien que ce ne soit pas le coeur de métier de cette fédération syndicale.
Beaucoup d’échanges entre affiliés concernent actuellement le moyen de syndicaliser davantage et de négocier collectivement. En Allemagne, par exemple, les postes ont effectué des sondages sur la question des augmentations salariales et la possibilité de les remplacer par une diminution de son temps de travail. « Les travailleurs étaient contents qu’on leur demande leur avis, et la solution a été de leur laisser la possibilité de choisir l’un ou l’autre », explique Christy Hoffman.
Nouveaux syndicats
Une autre évolution originale et intéressante à suivre sont les employés qui se groupent, aux Etats- Unis, pour convaincre leur employeur de ne pas réaliser les produits qui heurtent leurs valeurs éthiques. Prenant l’opinion à témoin, des employés d’Amazon ont fait capoter la vente d’un produit permettant la reconnaissance faciale aux autorités d’immigration. Les employés d’IBM se sont unis pour améliorer le traitement des femmes dans cette entreprise. «
Ces groupes demandent à avoir voix au chapitre lors des décisions. Ils pourraient donner lieu à la naissance de nouveaux syndicats », prévoit Christy Hoffman.