Oui au paquet d’aide aux médias

Restaurer la diversité médiatique

Le paquet d’aides et ses mesures variées visent à sauver l’information régionale et promouvoir les médias en ligne. Pour renforcer un système médiatique en crise économique et restaurer une diversité vitale à la démocratie.


Benjamin von Wyl

Les sièges administratifs des grandes entreprises de médias suisses ont fière allure. La rédaction de la NZZ est ornée des portraits de tous les rédacteurs en chef depuis 1780 – rien que des hommes. Pour la construction du bâtiment de TX Group à la Zürcher Werdstrasse, l’architecte renommé Shigeru Ban a utilisé 2000 mètres cubes de bois d’épicéa. L’adresse certes moins imposante de CH Media, sis dans le quartier du Telli à Aarau, permet aux journalistes de la rédaction de guigner dans l’imprimerie. La baie vitrée impressionne par ses dimensions.
Pour qui se penche sur l’évolution des médias, ces entreprises n’inspirent pas la sympathie : depuis les années90, Peter Wanner, l’éditeur de CH Media, a érigé un empire regroupant des titres de presse, des radios et des télévisions locales, qui s’étend aujourd’hui de Bâle à Saint-Gall. Il y a sept ans, la NZZ a fermé son imprimerie et 125 personnes ont perdu leur emploi. TX Group domine les médias suisses romands, réduit la diversité médiatique, et a même délocalisé en Serbie une partie de ses ressources humaines et de son département informatique. Les quartiers généraux des entreprises médiatiques ne donnent pas l’impression que le journalisme ait besoin de soutien public. Mais l’impression est trompeuse.

L’effondrement du système médiatique

Le système médiatique suisse est menacé. Au XXesiècle, les annonces et les abonnements finançaient largement la presse. Or ce modèle commercial ne fonctionne plus aujourd’hui. Au cours de la dernière décennie, le secteur des journaux payants s’est effondré : depuis 2012, leur tirage a chuté en Suisse de plus de 40 %. Sur dix journaux qui attendaient les lecteurs à la pause de 9h dans des bistrots aux abords des bretelles autoroutières, il n’en reste plus que six aujourd’hui. Sans un soutien public, tout le système médiatique pourrait s’effondrer. Le flot de contenus numériques provenant du monde entier fait notamment gagner de l’argent à Facebook et Google tout en leur assurant une position prédominante sur le marché publicitaire. En raison de cette masse de contenus gratuits, beaucoup ne se rendent pas compte de la lente disparition du journalisme. Mais ni les influenceurs des réseaux sociaux ni les rédacteurs-rices de BuzzFeed ne parviendront jamais à couvrir les régions comme le journalisme local l’a fait et continue de le faire.

Des mesures appropriées

Le paquet d’aide aux médias est le résultat d’un compromis trouvé après des années de débats, lors desquels de nombreuses demandes ont permis aux petits médias et aux médias locaux de se faire entendre. C’est pourquoi les journalistes de journaux locaux et de nouveaux projets en ligne sont les plus ardents défenseurs du projet de loi qui sera voté le 13 février prochain. Bien que des entreprises comme TX Group obtiennent aussi du soutien. Le paquet de mesures prévoit 120 millions de francs supplémentaires pour le secteur des médias et s’articule autour de plusieurs aspects : les rabais accordés par La Poste pour la distribution de journaux passent de 30 à 50 millions de francs par an. Cette « aide indirecte à la presse » existe depuis la création de l’Etat fédéral. Elle a été introduite en 1849, lors la création de la poste fédérale. Les journaux associatifs, comme syndicom magazine, bénéficient déjà de rabais de livraison – et dans ce secteur également, une augmentation de 20 à 30 millions de francs par an est prévue. A l’avenir, la distribution matinale et dominicale de journaux par des privés sera elle aussi soutenue à l’aide de rabais à hauteur de 40 millions de francs par an. Un modèle tout à fait inédit dans le train de mesures prévoit par ailleurs un soutien – en tout 30 millions de francs par an – pour les médias en ligne dont les recettes proviennent de cotisations de membres ou d’abonnements. Ces soutiens sont limités à sept ans. Si le oui l’emporte le 13 février, les radios locales privées et les télévisions régionales toucheront proportionnellement plus d’argent des redevances Serafe, sans limitation de temps. La même enveloppe doit servir à soutenir la formation, les agences de presse et le Conseil de la presse.

 

Des avantages aussi pour le secteur logistique

« Les avantages l’emportent », souligne Stephanie Vonarburg, vice-présidente et responsable du secteur Médias de syndicom. Mais elle évoque aussi des points négatifs : « En tant que syndicat, nous déplorons l’absence d’obligation de négocier une CCT pour la branche des médias. » Le Parlement n’a pas voulu en entendre parler. Il est en outre regrettable qu’aucun plafond ni aucune limitation des dividendes ne soient prévus pour les entreprises qui bénéficient de rabais ou de subventions. « La loi profite également aux grands éditeurs prospères, alors qu’ils n’auraient pas vraiment besoin d’un soutien », déclare Stephanie Vonarburg. Il n’en reste pas moins qu’il en émane aussi un journalisme important et digne de soutien, et les petits et moyens médias seront proportionnellement mieux soutenus – et dans une proportion massive : par personne abonnée, un petit média obtient jusqu’à 20fois plus d’argent que les grands groupes.

Le train de mesures prévoit aussi une obligation de négocier une CCT pour les entreprises privées de distribution de journaux. Du point de vue syndical, Stephanie Von arburg estime que c’est une très bonne nouvelle : « Compte tenu des dures conditions de travail dans la logistique, c’est un aspect important. » Dans cette branche, les salaires sont bas et les taux d’occupation souvent faibles. Le secteur des médias dans son ensemble profitera également du soutien au Conseil de la presse, à la formation et à la formation continue, ainsi que du soutien renforcé à Keystone-ATS. « Mais la nouvelle aide aux médias en ligne est l’un des points les plus positifs », souligne-t-elle. Elle constitue un instrument très innovant – c’est un moyen de « restaurer la diversité des médias ».

La promotion des médias en ligne

Quantité de mesures visent à empêcher l’effondrement du système médiatique en Suisse. Le soutien aux médias en ligne est tourné vers l’avenir : comme les médias locaux– contrairement aux groupes tech internationaux tels que Facebook et Google – ne peuvent pas s’attendre à d’importantes rentrées (publicitaires) en ligne, ils doivent être soutenus et stabilisés au sens du service public. Au cours des cinq dernières années, nous avons vu émerger un peu partout dans le pays des plateformes de journalisme numériques : basées à Zurich et Genève, Republik et Heidi News offrent des recherches fouillées sur l’actualité nationale. Avec la plateforme satirique Petarde et le magazine culturel Frida, ce sera bientôt au tour d’autres médias numériques de prendre leur envol. Et au-delà du rayonnement de ces fleurons en Suisse, des plateformes locales indépendantes voient le jour dans les régions : Zentralplus couvre l’information depuis Lucerne et Zoug, Bajour à Bâle-Ville, Kolt à Olten. La plupart de ces nouveaux projets renoncent à rendre compte de chaque assemblée associative. Ils s’arrogent les morceaux choisis, au meilleur sens du terme : ils veulent creuser là où les rédactions locales décimées des grands journaux manquent de temps pour effectuer des recherches.

Le futur média en ligne Hauptstadt est aussi dans la course. L’année dernière, TX Group a regroupé les rédactions locales du Der Bund et de la Berner Zeitung . Même si ces quotidiens sont maintenus comme deux titres séparés, beaucoup à Berne craignent que le manque de concurrence n’appauvrisse les débats et que les journalistes restants deviennent moins critiques. C’est pourquoi une équipe de journalistes planche sur une alternative : Hauptstadt couvrira l’actualité bernoise et celle de ses communes avoisinantes dès ce printemps. 3308 personnes sont convaincues de la réussite du projet et ont déjà souscrit un abonnement avant même son lancement. Pour s’autofinancer, le média local a besoin d’au moins 4000 abonné-e-s. Hauptstadt pourrait semble-t-il s’en sortir sans subventions fédérales.

« Nous calculons par précaution sans l’aide aux médias en ligne, même si elle serait bien entendu la bienvenue », déclare Jürg Steiner de l’équipe de Hauptstadt. Le média prévoit cinq postes à plein temps. « Si la loi passe, nous pourrions engager deux journalistes supplémentaires, ce qui nous donnerait naturellement plus de force dès le départ », ajoute Jürg Steiner. Même à Berne, la diversité médiatique est compromise. Mais il existe au moins un potentiel pour un petit média tel que Hauptstadt – la situation est différente en milieu rural et dans les petites agglomérations. « Les petits centres sont ingrats », dit-il. « Même à Langenthal, je m’imagine difficilement une alternative comme celle que nous tentons à Berne. »

 

Agir au niveau local

Jürg Steiner, qui a travaillé de nombreuses années pour la Berner Zeitung, est convaincu que « l’appauvrissement médiatique au niveau local » a un impact sur les discussions sociétales. En Suisse, où tant de décisions sont laissées aux communes, il faut absolument une diversité médiatique au niveau local.

Selon Jürg Steiner, le paquet d’aide aux médias mettrait également un terme au désavantage subi par les médias numériques par rapport à la presse écrite. Car ils ne bénéficient aujourd’hui d’aucun soutien, comme celui des rabais sur les tarifs d’acheminement des journaux. Le paquet d’aide aux médias ne restaurerait néanmoins pas automatiquement la diversité médiatique. Les projets locaux en ligne auront encore besoin de journalistes capables de traiter l’actualité locale et d’une base de revenus, explique Jürg Steiner : « Le soutien aux médias en ligne n’est pas une offre pour les personnes en quête de subventions. On ne peut pas créer n’importe où un média et attendre que l’Etat le finance. » Le soutien rend uniquement un peu plus probable leur survie. Pour Hauptstadt, la situation ne sera de toute façon pas confortable, indépendamment du fait que le paquet d’aide aux médias aboutisse ou non.

Un financement transparent

Jürg Steiner considère lui aussi l’objet de votation comme un compromis. Dans un monde idéal, les médias pourraient s’autofinancer grâce à leur journalisme. « Bien entendu, il serait préférable que tout cela ne soit pas nécessaire. Mais les médias sont en difficulté. » En tant que journaliste, Jürg Steiner souhaiterait ne pas accepter d’aide de l’Etat : « Mais l’argent n’est pas lié aux contenus. Les médias qui veulent limoger le gouvernement en reçoivent aussi. » Par ailleurs, la provenance des fonds publics a l’avantage d’être au moins transparente. « Sinon, ce sont d’illustres inconnus qui injectent de l’argent. »

Les journaux gratuits en possession de Christoph Blocher, qui vont de Bodensee Nachrichten au Tagblatt der Stadt Zürich, atteignent 918 000 lecteurs et lectrices en Suisse alémanique. » Si la loi n’aboutit pas, les médias se trouveront face à une situation désastreuse. Un nouveau projet de loi prendrait de nombreuses années – beaucoup trop de temps pour de nombreux médias », conclut Stephanie Vonarburg.


Cet article paraîtra dans le magazine syndicom n° 27 du 31 janvier 2022.

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